Alors c’était comment, deux ans à Châteauroux ?


Zehzi, Zkong, Ruoyao, Barna vous saluent bien.

Ruoyao, Zkong, Zezhi et Barna ont regagné la Chine, après deux années passées à Châteauroux. Coup d’œil sur l’expérience de pionniers de l’université de Pékin en Berry.

Ils sont quatre volontaires, deux garçons et deux filles, pour cette séance d’analyse de leur séjour à la veille de leur retour en Chine. Audrey, Charles, Virgile et Valentine vont se décontracter au fur et à mesure de l’entretien.

Pourquoi ces prénoms français au fait ?

« Lorsque nous sommes arrivés, intervient Ruoyao, il y avait un tableau avec une liste de prénoms. J’ai choisi Audrey je trouvais ça joli. Moi Charles, à cause de Charles de Gaulle, précise Zkong. » Si en plus de toutes les différences on avait ajouté des prénoms imprononçables, la communication avec les étudiants français aurait été encore plus difficile.

Au fait, cette communication a-t-elle eu lieu ?

« A partir de la deuxième année, affirment-ils unanimes, lorsque les rotations de bus entre La Martinerie et le campus Balsan se sont améliorées. C’est aussi à partir de cette deuxième année que nous avons commencé à suivre les cours de Langues Etrangères Appliquées avec les Français, » complète Barna… la plus Française des quatre, même si l’expression de ses trois camarades est parfaite. La communication est ensuite affaire de personnalité, les deux garçons ont manifestement un temps de réflexion avant de répondre aux questions, filtre des choses à dire ou à ne pas dire, ou souci de s’exprimer dans le meilleur français possible. Car si mes interlocuteurs ont fréquenté les jeunes Français, ils n’ont pas adopté leurs tics de langages : aucun « hyper, méga, trop bon ou voilà » dans leur propos.

« On dit que les Français sont les asiatiques de l’Europe, lance Zezhi. Ils sont gentils mais on n’entre pas facilement en communication avec eux, les Berrichons n’échappent pas à la règle. J’ai voyagé aux Etats-Unis, les gens y sont beaucoup plus directs… c’est vrai aussi que je parlais anglais. »

Alors justement y a-t-il eu des relations particulières ?

« Il y en a eu, sourient Ruoyao et Zkong, pas de notre part car nous étions déjà ensemble. C’est très difficile pour les garçons chinois, estime Zezhi, probablement parce que nous sommes un peu trop timides. »

C’est Barna qui va une nouvelle fois faire la synthèse « Il y a au moins une de mes amies chinoises qui va venir poursuivre ses études à Orléans. Car elle a rencontré un Français très beau. Une autre s’est inscrite à la Sorbonne, je ne sais pas si c’est pour se rapprocher de son amoureux. En fait les Françaises trouvent les garçons chinois très gentils, très doux avec leurs compagnes, contrairement aux jeunes Français. Pourtant elles préfèrent des relations éphémères, alors que nos camarades ont une toute autre idée de la vie. En Chine si vous avez un enfant sans être marié, votre enfant aura de grosses difficultés. Alors la relation envisagée est forcément plus durable. »

Vous avez évidemment repéré d’autres différences…

« La liberté, affirme immédiatement Zkong. J’ai demandé à un ami s’il n’était pas exaspéré par les grèves des trains à répétition, il m’a répondu que si, évidemment, mais que les cheminots faisaient usage de leur droit. En Chine la question ne se pose pas. Le droit de grève n’existe pas. La liberté, poursuit Zezhi, les étudiants l’utilisent aussi pour contester la sélection à l’entrée de l’université. Nous, la sélection nous la vivons au moment du Gaokao, l’équivalent de votre bac. En fonction de nos résultats nous savons quelles universités nous avons la possibilité d’intégrer. Si l’université ou les études ne nous conviennent pas, il faut passer un an et re préparer le Gaokao. » C’est comme cela que Zezhi s’est retrouvé à vingt-cinq ans en compagnie de camarades de vingt ans.

Tous reconnaissent également qu’il faut de l’argent pour faire des études et qu’ils ont la chance d’appartenir à la classe moyenne supérieure.

Alors voilà, la parenthèse française se referme, retour à la Chine surpeuplée…

« En arrivant, je me suis demandé si j’allais pouvoir m’adapter à cette vie où rien ne semblait se passer, avoue Ruoyao. En Chine on vit à toute allure. Quand je suis retournée chez moi, à Shangaï j’ai trouvé que la ville avait changé, encore plus de grands bâtiments avaient poussé. Il m’a fallu quelques jours pour me réhabituer… Moi poursuit Barna, c’est le bruit qui m’a gêné en retournant à Pékin. Mais la pollution, tempère Zkong, c’est une idée reçue. Les Chinois sont de plus en plus attentifs à la qualité de l’air et à l’environnement. » C’est vrai qu’à la différence des trois autres il est originaire d’une petite ville. En vérifiant sur son smartphone il a tout de même constaté que Dali, destination touristique, ville d’histoire, capitale du Yunnan, comptait quand même plus de 650 000 habitants…

Vous savez que l’Indre attend les Chinois depuis près de dix ans ?

La question provoque un blanc de perplexité chez mes interlocuteurs. Et lorsqu’ils apprennent qu’une zone d’activité de cent cinquante hectares attend les congénères industriels de l’autre côté de la route de Lignières, ils ouvrent des yeux ébahis. « Nous savions qu’EuroSity comportait un volet économique, mais nous n’avons jamais entendu parler d’Ozans. » Inutile de retourner le couteau dans la plaie la veille de leur départ.

Des cosmétiques comme souvenirs de France

Nos visiteurs achèteront peut-être quelques bouteilles de vin à rapporter au pays, mais achetées au moment de l’embarquement, car leurs bagages sont déjà lourds. Ils repartent aussi avec des cosmétiques. « Les produits français sont bien meilleurs que les chinois et achetés ici c’est beaucoup moins cher » confirment les filles. Les garçons ont investi dans la monnaie de Paris. Et même s’ils lisent en téléchargement, s’ils ont découvert les grands auteurs en traduction chinoise, ils ont aussi investi dans des livres anciens. Barna elle va se lancer dans la lecture des Misérables. Mais Barna est déjà presque française, elle revient à la rentrée de septembre pour intégrer l’ISIT, une grande école d’interprétariat à Paris. Les autres ont un pincement au cœur au moment de quitter le Berry. Combien de temps vont subsister les liens tissés avec les familles françaises. Est-ce que ce sera plus facile pour les promotions qui viendront après eux ? « Pas sûr, estime Zezhi, nous avions un an d’étude du français en arrivant, nos camarades sont débutants et risquent de perdre eux aussi un an. »

Oui, mais les étudiants berrichons parlent chinois désormais.

Pierre Belsœur