Engrillagement en Centre-Val de Loire : PPL Cardoux, historique ou scandaleuse ?


Le 6 octobre 2022, l’Assemblée nationale disait “oui” à la proposition de loi (PPL) du sénateur LR du Loiret, Jean-Noël Cardoux, limitant l’engrillagement des espaces naturels. De retour dans l’hémicycle, Paris scellera un peu plus le sort de la Sologne ce mois-ci. Si ce texte imprimera une première avancée, est-il possible de le considérer comme panacée ? L’euphorie des débuts semble un brin retombée, même si l’espoir persiste.
Deux mois après le palais Bourbon, le 6 décembre, le Sénat a confirmé la donne positive. La prochaine étape sera la deuxième lecture prévue à nouveau dans les murs de l’Assemblée nationale à Paris le 25 janvier 2023. Dans le détail, la future loi Cardoux ne fera pas tomber tous les grillages : elle octroie un délai aux propriétaires qui possèdent des installations grillagées, érigées moins de trente ans avant cette publication législative; ceux-ci auront 4 ans pour se mettre en conformité à la nouvelle règle, En effet, après promulgation de cette loi, les clôtures, sises dans des zones naturelles et forestières, ou dans les espaces naturels, posées depuis 1992 et jusqu’à 2022 (30 ans), devront d’ici le 1er janvier 2027 obligatoirement être posées 30 centimètres au-dessus de la surface du sol, sans excéder 1,20 mètre de haut. Des contraventions de 4e classe sont prévues en cas d’intrusion et de violation de la propriété privée. Le chemin n’est pas encore arrivé à son terme mais le combat a débuté depuis si longtemps pour les associations qu’elles ne peuvent pour leur part que se réjouir de cette étape législative. Parmi celles-ci, les Amis des Chemins de Sologne. L’association, qui œuvre depuis 25 ans est menée depuis Brinon-sur-Sauldre (18) par Raymond Louis et son épouse Marie. Elle vient d’être agréée au niveau régional “pour la protection de l’environnement », reconnaissance par l’État, au titre des dispositions du Code de l’environnement. “Les grillages touchant le sol, c’est fini, ça laissera passer la petite faune et les sangliers. Avec les 1,20 m, les cervidés passeront sans se prendre les pattes dedans,” commente M. Louis, en bon amoureux de la Sologne et d’une nature libre. “Les clôtures, avant 1992 ? Elles ne pourront pas être rénovées, et donc tomberont à l’abandon.” Oui mais… Aucune loi n’est jamais parfaite, et certaines interrogations fusent. L’Office français de la biodiversité (OFB) aura-t-il vraiment le pouvoir de contrôle renforcé promis par la secrétaire d’Etat à l’écologie, Bérangère Couillard ? Quid d’éventuelles exceptions annoncées via dérogations, qui peuvent créer des travées où se faufiler ? Peu ou pas de cris d’orfraie des grands propriétaires, autre puce à l’oreille ?

Entre joies et craintes
Si la PPL Cardoux (LR) a réussi à dépasser les clivages, n’est ni de droite, ni de gauche, certains la jugent en effet « trop molle » face à une PPL précédente mais évincée, celle du député du Cher (Renaissance / LREM), François Cormier-Bouligeon, moins consensuelle, plus radicale. Alors, quels points positifs, quelles lacunes ? “Cette loi a le mérite de poser légalement et nationalement une problématique qui pouvait passer pour une question d’ordre rural et anecdotique mais qui relève d’un enjeu universel relatif à la chute vertigineuse de la biodiversité. Il n’est pas exclu que cette première mouture éveille des parlementaires à la question, qui comme moi et par bon sens, lui apporteront les amendements la rendant plus opérationnelle,” répond Jean-François Bridet, vice-président (groupe écologie et solidarité) de la région Centre-Val de Loire, délégué à la biodiversité, aux parcs naturels régionaux, à la Loire et rivières, à l’eau, à l’air et à la condition animale. “Toutefois, la loi proposée présente encore des faiblesses coupables. Changer la nature des clôtures à venir sans les proscrire pourra faciliter les flux animaux mais ne règlera pas du tout le problème d’accès des secours en cas d’incendie. La suppression ou le remplacement des clôtures actuelles ne fait l’objet que de recommandation quant à la méthode à respecter mais aucune disposition contraignante ne permet d’envisager une telle campagne, à l’exception de l’interdiction de chasse dans les enclos actuels, mais nous savons la faiblesse des moyens de contrôle assermentés (effectifs de l’OFB).”

À double tiroirs, enfumage ?
Justement, la dimension de la chasse en enclos, pour certains défenseurs des animaux, n’est guère abordée dans cette PPL, pour ne pas dire pas du tout. M. Bridet confie encore son avis. “La modification du type de clôtures permet une certaine porosité pour la faune mais permet aussi de perpétuer des méthodes de chasse commerciale « au tableau » impliquant l’importation d’animaux et leur agrainage dans un espace qui restera contraint. Cette surpopulation artificielle continuera à créer du mal-être animal, à peser sur les milieux et à déséquilibrer les biotopes. Par ailleurs et culturellement parlant, est encore permise là une pratique qui « chosifie » l’animal, qui en fait une cible-objet sophistiquée. Ma plus grande peur est que les propriétaires empêchés de chasser dans les enclos actuels et ne désirant pas les modifier pour des raisons économiques se contentent de les abandonner et de déplacer leurs entreprises de mort massive entre les nouveaux grillages permis par la loi. (…) Ce projet illustre, parmi d’autres lois et décisions de justice, un mouvement tectonique profond élevant peu à peu le droit de l’environnement, bien commun suprême, au-dessus des autres valeurs telles que le droit de propriété ou le droit de libre entreprise. Nous devrions désormais considérer qu’un propriétaire foncier est titulaire de plus de devoirs que de droit vis-à-vis du terrain qu’il possède et du vivant qu’il abrite ou voit passer.” Une autre figure blaisoise, Catherine Le Troquier alerte à son tour. “Je n’interviens pas comme maire de Valaire, mais comme relais, en tant que citoyenne du département. Pour relayer au niveau local les inquiétudes des citoyens non chasseurs qui m’ont interpellé et des associations qui ont sollicité le Sénat et les députés. Une belle hypocrisie que cette loi ! Ne nous laissons pas enfumer le 25 janvier,” constaste-t-elle. “Les citoyens ne sont pas entendus, mais l’opinion populaire est moins couarde depuis la mort de Morgan Keane (le jeune homme de 25 ans est décédé dans le Lot en décembre 2020 en coupant du bois dans son jardin suite à une balle de chasse accidentellement reçue au thorax lors d’une battue, tirée par un chasseur qui l’avait confondu avec un sanglier, ndrl). Le texte Cardoux est en faveur des chasseurs et de la propriété privée, mais toujours au détriment de la faune sauvage et des non chasseurs. Il va entériner un système encore plus répressif pour les non chasseurs ! Cela va pénaliser les associations et refuges animaliers, les promeneurs et d’autres oubliés de la loi Cardoux. Ce n’est pas une avancée historique. Les contraventions prévues excluent les chasseurs de l’amende d’intrusion dans les propriétés privées ! De plus, la chasse en enclos, qui devait à l’origine être interdite, restera autorisée dans les anciennes grosses propriétés. Encore une fois, on voit ici la façon d’agir de chasseurs pour appuyer leurs privilèges, terrorisant plus de 98 % d’entre nous. On voit d’ailleurs sur les réseaux que les chasseurs ne se privent pas d’en rire, se moquant des élus et des associations qui ont approuvé un peu trop vite la PPL Cardoux. Celle-ci brouille les cartes, cela ne va rien régler, c’est un écran de fumée !» Précisons que l’ex-loir-et-chérien et conseiller régional devenu député d’Indre-et-Loire, Charles Fournier (EELV), a d’ores et déjà déposé une proposition de loi « pour une chasse plus respectueuse de la nature et de ses usages »…Le ministre de l’agriculture, Marc Fesneau (Modem), insiste de son côté. « C’est historique. Un pied enfin mis dans la porte, vous verrez. »
Émilie Rencien