Et si on levait le voile


Sur une photo, au bout d’un fin bras nu, flotte un foulard comme un étendard. Sur une autre, ce fichu bout de tissu est en flamme.
Une jeune femme juchée sur le capot d’une voiture, à Téhéran ou à Mazandaran peut-être, le brandit, au bout d’un bâton, au-dessus de sa tête. « Un hijab dans une main, un caillou dans l’autre » peut-on lire dans Libération. L’image est celle de femmes. Des femmes qui sont féministes. Vraiment. Le concept de l’homme blanc de plus de 50 ans, colonisateur de surcroît, leur est totalement inconnu. Pourtant c’est une volonté de vraie démocratie qui les animent, une démocratie partagée. Pas une envie castratrice, une envie d’égalité seulement, une envie d’exister surtout. Même pas une envie d’ailleurs ; un besoin, une nécessité, une évidence. Elles ne le font pas derrière un clavier, sur les réseaux sociaux ou le petit doigt en l’air en buvant une tasse de thé, un scone beurré posé dans une assiette au décor fleuri juste à côté. Non, ce n’est pas pour de semblant, pas pour devenir califesse à la place du calife, ni vizire à la place du vizir. Juste pour exister on vous dit, dans une société qui veut les invisibiliser. Vraiment. Comme les mères et les grand-mères de la place de Mai, à Buenos Aires, en Argentine, face à la junte militaire de Pinochet, elles ne jouent pas le vierges effarouchées par la gifle de Quatennens. Comme les étudiantes de la place Tian an men – les étudiants étaient là aussi- elles savent que c’est leur avenir qui est en jeu et pas celui de Julien Bayou et des violences psychologiques potentielles contre une ex-compagne. À chacun son combat. Il n’existe pas d’échelle de valeurs dans les violences faites aux femmes. Une baffe reste une baffe. De là à revendiquer qu’une remarque un peu trop lourde soit une agression sexuelle revient à cautionner le vieil adage« qui vole un œuf vole un bœuf ». Si l’on croit Victor Hugo, c’est comme ça que Jean Valjean s’est retrouvé au bagne: pour un quignon de pain, un seul quignon de pain. Sans classement, la révolte des Iraniennes est un cran supérieur tout de même. Entre vivre et survivre, la différence est plus que notable. Elle est essentielle. Vraiment.
Là, les femmes d’Iran ne veulent plus de ce voile qu’on leur impose. Ailleurs, au nom de la liberté de choisir, on voudrait aussi l’imposer. Cherchez l’erreur. Ici ce n’est plus un choix, c’est une obligation qui est, à terme, mortifère. C’est une volonté on ne peut plus patriarcale, machiste au possible. Le voile est là, un vecteur d’idéologie politique associé au carcan d’une société sclérosée par la religion. Loin de toute démocratie, le conservatisme du pouvoir phagocyte la moindre idée progressiste. Alors, le voile … On compte les morts sur les champs de bataille d’Ukraine. En Iran, on compte les morts au lendemain des manifestations, entre ceux et celles qui ne sont pas rentrés à la maison, et ceux et celles que l’on a vu être embarqués dans les véhicules de la police…
Masih Alinejad, une journaliste iranienne, a posté, sur Twitter : «Nous, les femmes d’Iran, retirons notre hijab et chantons contre les dictateurs religieux, nous risquons la prison et la mort, mais nous avons un rêve : nous voulons nous débarrasser du régime islamique. Écoutez-nous.» « Pour ma sœur, ta sœur, nos sœurs », écrit par le chanteur iranien Shervin Haji, un homme, qu’Allah lui pardonne, lui vaut désormais de croupir en prison. Pendant ce temps-là, en Occident, on persifle sur la notion patriarcale du barbecue et de la côte de bœuf. Et, alors que sur les réseaux sociaux, on peut écouter, en Farsi*, le Bella Ciao des partisans transalpins, devenu synonyme de toutes les résistances, en Italie, Giorgia Méloni devrait devenir présidente du conseil. Décidément, quelque soit le niveau d’implication, on n’a pas toujours les élus que l’on mérite.

Fabrice Simoes

*Farsi/Parsi nom de la langue majoritaire en Iran.