Site icon Le Petit Solognot

La tarte Tatin

La tarte Tatin
Une histoire goûteuse,
Une histoire savoureuse,
Une histoire heureuse.
Que la création de la Tarte Tatin soit due à de modestes Solognotes…
Qu’un mystère ou une bévue entoure sa naissance…
Que ce savoureux dessert soit aujourd’hui universellement connu et apprécié…
Que des hommes et des femmes se groupent pour la défendre…

Tout cela mérite bien quelques explications.

Voici la véritable histoire d’une grande spécialité :

Il était une fois, au tournant du siècle, deux demoiselles, Stéphanie et Caroline Tatin, nées à Lamotte-Beuvron dans le Loir-et-Cher, respectivement les 27 mai 1838 et 7 mars 1847.

Filles de Jean et Aimée Tatin, elles descendent d’une longue lignée lamottoise puisqu’un de leurs ancêtres, Louis, fut au milieu du XVIIIe siècle boulanger dans cette ville. Ce sont les parents, Jean et Aimée, qui ouvriront le premier établissement hôtelier, face à « l’embarcadère » des chemins de fer du Centre, sous le nom d’hôtel de la Gare. C’est cet établissement qui deviendra ensuite l’hôtel du Pin d’or puis l’hôtel Tatin. Il existe encore aujourd’hui. Les demoiselles Tatin dirigeront l’hôtel de 1890 à 1906.

Comme le fait remarquer Henri Delétang dans la revue La Sologne et son passé n° 27, « Histoire et gastronomie : les Tatin à Lamotte-Beuvron », l’hôtel Tatin est d’une certaine importance si l’on en juge au stock de linge répertorié (100 paires de drap, 600 serviettes, 300 torchons, 100 tabliers, etc.), et aux 10 véhicules attachés à la maison : omnibus, charrette, cabriolet… tirés par des chevaux. L’hôtel est également équipé pour la location de voitures. En 1901, le personnel est évalué à 7 personnes. En 1906, ce nombre passe à 13, signe que cela ne marchait pas trop mal pour les sœurs.

Le village de Lamotte-Beuvron prend son véritable essor grâce à la construction de la ligne de chemin de fer Paris/Orléans/Vierzon et au passage de la Nationale 20. L’hôtel trouve ainsi sa clientèle chez les voyageuses et les voyageurs qui empruntent cette route pour leurs déplacements commerciaux ou touristiques. L’hôtel Tatin aura d’ailleurs l’honneur de figurer dans le premier guide Michelin édité en 1900.

C’est certainement aussi le développement de la chasse et l’engouement pour la Sologne, idéale pour pratiquer ce loisir, qui vont finir d’assurer sa notoriété dans le petit monde parisien.

Henri Denizet, secrétaire du Comité central agricole de la Sologne, l’évoque dans son livre La Sologne en 1900 : « Comment, lorsque nous nous occupons des chasses de Sologne, ne pas parler de l’hôtel Tatin, qui est par excellence l’hôtel des chasseurs et où tous, quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, sont assurés de trouver l’accueil le plus cordial et la table la mieux servie ? C’est là que le Parisien en quête d’une chasse vient s’adresser, car on pourra le renseigner sur toute la contrée, à vingt lieues à la ronde. »

Le développement du chemin de fer participe aussi à « l’envahissement » de notre région par le Tout-Paris à la fin du XIXe siècle. La bourgeoisie succède à l’aristocratie. Les grands industriels s’emparent d’importants domaines. Il devient de bon ton de séjourner en Sologne. À cette époque, les châteaux et les luxueuses demeures poussent tels des champignons. La Sologne devient à l’aube de la Première Guerre mondiale une terre de loisirs pour la bourgeoisie argentée.

Avant la Seconde Guerre mondiale, le « train des chasseurs » partait les vendredis soirs de la gare d’Austerlitz à Paris, emportant les adeptes de la chasse, leurs épouses, leurs fusils et leurs gibecières, les chiens étant rassemblés dans un wagon particulier à l’arrière du convoi.

Gabriel Hanotaux raconte, dans un article paru dans Le Journal en décembre 1899, ce que provoquent « ces visiteurs hebdomadaires qui apportent la richesse » :

« Le train de dix heures du matin amène les chasseurs de Paris. L’hôtel (Tatin) qui, jusqu’à cette heure somnole, s’anime tout à coup. Les abois des chiens, les appels des maîtres, le clic-clac du fouet, les grelots des chevaux font, au-dehors, un vacarme qui ne s’arrête pas à la porte. Le corridor est envahi ; les valises et les sacs pénètrent d’abord en se faisant place parmi les jambes et les mollets ; puis ce sont des plaids, des manteaux, des peaux de loup, des peaux de castor et des peaux de bique, mises à la mode par la récente invasion de l’automobilisme. Sur les têtes de tout âge et de tout poil, ce sont des chapeaux à grands bords qui donnent aux citadins paisibles l’air de Fra Diavolo, des casquettes de chauffeur cerclées de cuivre qui leur font des figures inattendues de général Dourakine (…) Les fusils sortent de leurs boîtes et se montent avec le claquement sec du ressort d’acier, ils passent de main en main… »

C’est dire l’animation, la fébrilité qui s’empare de l’hôtel Tatin et de son personnel ces jours-là ! Il se dit que l’accueil est chaleureux, la table bonne et la cave fournie en bordeaux, bourgogne, beaujolais et vins de Loire.

Donc les chasseurs, gourmets avertis s’il en est, semblaient bougrement apprécier les saveurs et les inventions de la cuisine des demoiselles Tatin…

On comprend mieux comment la légende de la tarte Tatin prend corps dans cette effervescence. Un beau jour, retardée par le bavardage d’un client empressé, Caroline, surnommée « la Petite Impératrice de Sologne » pour sa beauté et son élégance, à moins qu’il ne s’agisse de Stéphanie, Fanny pour les intimes, d’un caractère plus joyeux, plus affable, fin cordon bleu, sa cuisine dite de terroir étant très appréciée, arrive en cuisine, essoufflée, les joues roses, en plein coup de feu, et constate affolée l’absence de dessert. L’histoire est en marche…

La tarte aux pommes est préparée à toute vitesse, avec une dextérité incomparable comme à l’habitude, mais dans la précipitation, l’émoi, elle est posée carrément à l’envers dans le plat de cuisson. Ne pouvant reculer, les sœurs servent ce dessert. Les commentaires et les compliments qui suivent annoncèrent la réussite de ce délicieux gâteau.

La tarte Tatin était née.

L’histoire est belle, certes, mais vous connaissez le proverbe régional qui dit que le Solognot ne se trompe qu’à son profit. Aussi il est permis de se demander si cette brave demoiselle Tatin n’avait pas anticipé l’avantage qu’il y avait à commettre cette prétendue erreur. Sans vouloir critiquer les produits du terroir, les pommes solognotes de l’époque étaient, disait-on, fort acides et plutôt agressives en bouche. On peut à partir de là concevoir que Stéphanie et/ou Caroline, fin palais et très bonne cuisinière, n’ait inventé ce renversement de situation pour justement mêler le sucre caramélisé dans le beurre de cuisson à cette trop grande acidité et créer ce goût singulier qui fait aujourd’hui votre délice.

G.B.

Quitter la version mobile