Lamotte-Beuvron : Vignerons contre aristocrates


Cet automne, la deuxième intervention du cycle automnal 2020 des conférences présentées par le Groupement de Recherches Archéologiques et Historiques en Sologne a eu lieu au cinéma Le Méliès. Daniel Boisset, membre du conseil d’administration du GRAHS a présenté l’affaire de Boisgibault, un conflit qui a opposé des vignerons à leurs seigneurs à Ardon en 1761, affaire qui reflète l’état de la société 30 ans avant la Révolution française.
Le 23 janvier 1761, six gardes et le concierge des terres de Boisgibault s’en prennent à des paysans vignerons, hommes, femmes et enfants, causant des blessés et tuant un cheval. Ces paysans profitaient du droit de pâturage et de champage qu’ils avaient dans ces bois, droit ancien conféré par un jugement de 1336 et confirmé par un arrêt de 1641.
Il est à noter qu’au XVIIIe siècle, les propriétaires terriens voyaient d’un mauvais œil ces droits, sous l’influence du courant de pensée des Physiocrates, qui encourageaient la valorisation des domaines en s’inspirant de l’exemple anglais des enclosures (propriétés closes).
Le 24 janvier 1761, les vignerons victimes de l’attaque des gardes portent plainte devant le lieutenant criminel du baillage d’Orléans tant que les gardes portent l’affaire devant la justice du seigneur de Boisgibault. Le 4 février 1761, le lieutenant criminel condamne l’un des gardes, Boissay, à payer aux victimes 120 livres de dommages et intérêts. Le 10 février 1761, le Parlement de Paris se prononce sur l’appel des gardes. Le 10 mars 1761, le garde Boissay décède des blessures qu’il a eu pendant l’affront et sa veuve reprend la procédure. Le 6 avril 1761, les vignerons envoient une requête au Parlement de Paris afin que le greffier de la justice de Boisgibault adresse à celui-ci les pièces de la procédure. Comme le greffier ne le fait pas, il est condamné par un arrêt du Parlement du 24 avril 1761 à être destitué de sa fonction. Le 25 avril, le Parlement renvoie l’affaire devant le baillage d’Orléans, dont nous ne connaissons le 8 septembre 1793 malheureusement pas la décision, les archives départementales d’Orléans ayant été détruites en 1940.
Le 10 juin 1793, une loi ordonne le partage des communaux, ce qui est fait à Mezières (lieu où avait eu l’affrontement) le 8 septembre 1793. Ce partage est contesté et un jugement du 7 mars 1797 ordonne la restitution d’une partie de ces communaux. La loi du 9 ventôse (29 février 1804) réglemente le partage des communaux en étant plutôt favorable aux propriétaires. En 1810, un conflit oppose à ce sujet le marquis de Goimpy, maire de Mezières au propriétaire du château de Mézières, l ‘industriel Lockhard car celui-ci n’aurait pas respecté le partage des communaux mais en avril 1814, Lockhard est nommé maire et la procédure n’aboutit pas. Le 24 avril 1818, le préfet autorise l’arpentage et l’estimation des communaux et un plan parcellaire est dressé.
« Ce type de conflit opposant les paysans attachés au droit de pacage aux propriétaires souhaitant faire valoriser leur domaine en ne voulant pas que le bétail endommage les plantations était courant à la fin du XVIIIe siècle, reconnaît Daniel Boissay dont le grand-père avait acquis au XIXe siècle une des parcelles objet de l’affaire de Boisgibault. On peut faire un rapprochement avec le problème de l’engrillagement que connaît actuellement la Sologne et la vente des chemins communaux souvent pratiquée par les communes dans les années soixante dix et quatre-vingt.
F. M.