Place des tendances


Au moment de préparer son dressing pour l’automne-hiver et regarder quelles tendances se dessinent chez les marques ou dans les vitrines de boutiques d’un centre-ville (le vert anis est trendy, on vous le dit!), quelle est la mode … en termes d’actualités ? À l’instant où Jean-Luc Godard, 91 ans, a librement décidé d’avoir recours au suicide assisté en Suisse sans cinéma, relançant le sempiternel film de fin de vie en France, une phrase d’un autre Jean, Cocteau, nous revient en mémoire : “Trop de milieux divers nuisent au sensible qui s’adapte. Il était une fois un caméléon. Son maître, pour lui tenir chaud, le déposa sur un plaid écossais bariolé. Le caméléon mourut de fatigue.” C’est un peu l’impression d’épuisement que nous laissent les informations, devenues elles aussi marchandises, nourrissant à la fois le sensationnalisme et le catastrophisme; style particulièrement entretenu depuis l’apparition du Covid-19. Par exemple, lors du déplacement du Président de la République, Emmanuel Macron, dans le Loiret, le 9 septembre 2022, en rive de l’Eure-et-Loir, un fil d’info était accessible à la presse accréditée dont nous faisions (pour une fois) partie. Cela indiquait, de temps à autre : “Le PR discute nouvelle variété de radis. Refuse de répondre à une question sur la Reine. Repart avec une baguette. S’en va.” Des détails d’importance qui intéressent, il paraît, fortement la presse. Peut-être empruntons-nous trop de wagons littéraires ou ne sommes-nous pas assez dans la tendance, mais cette vague de courts messages s’apparentant à des tweets nous ont professionnellement laissé pantois. Rassurez-vous, personne n’a pas mangé une pomme, ceci était réservé à Jacques Chirac ! Cela nous permet de croquer dans un autre fruit qui rend visiblement baba : la disparition de la reine Elisabeth II d’Angleterre. C’est THE sujet en boucle sur toutes les chaînes (ou quasi) en continu; à l’instar d’autres « événements », les commentateurs en palabrent toute la journée, d’édition spéciale en édition particulière qui finalement ne sont plus singulières du tout ! Voyons le positif : nous évitons de sortir le char à voile et pouvons vivre à l’heure anglaise, sans bouger du canapé. Ce qui, en pleine crise de l’énergie, continue toutefois de consommer royalement de l’électricité, tenant en haleine les Français férus de monarchie devant leurs appareils connectés et fortement consommateurs. Ce tea time aura d’ailleurs, sur certains canaux, complètement occulté une autre Elisabeth Ier, non pas dead mais bien Borne (la blague est aisée, je sais, puisque circulant partout), qui distribue à nouveau des chèques palliatifs. N’omettez pas d’ailleurs la sainte règle du porte-parole du gouvernement, Olivier Véran : ne pas allumer votre machine à laver à 18 h ! La bamboche, nous savions que c’était terminé; l’abondance, c’est fini, et se laver aussi… Par contre, le poulet Tricatel (à ne pas confondre avec du canard, n’est-ce pas) de Louis de Funès, dans “L’aile ou la cuisse”, avec l’arrivée en 2022 de l’alimentation 3D et in-vitro, n’a, lui, jamais semblé aussi proche d’accès, loin de la fiction d’anticipation de 1976. Et si un collègue oublie d’éteindre son ventilateur au bureau, ça se dénonce ? Et les climatisations à ciel ouvert pour la Coupe du monde de football au Qatar, sinon ? Et les jets privés du PSG ? Et le Pakistan noyé sous les eaux, totalement oublié des médias ? Et les Gilets jaunes de retour dans certains ronds-points, à Blois notamment ? C’est la même chanson que la mélodie jouée pour la pandémie : rien de mieux que de seriner à l’envi un arbre de news qui cache la forêt des vrais sujets. Rien de plus efficace que d’agiter la peur, tout en maniant le bâton (chômage, morts, coupure d’électricité) et la carotte (chèques, vaccins), pour arriver à museler et maîtriser les peuples, discrètement, sans avoir l’air d’y toucher. “Aucune liberté n’est absolue,” selon le philosophe franco-suisse Dominique Bourg. Et pourtant, dans l’impasse électrique, la lumière fut : une défunte Reine truste les images TV historiques en 2022, une femme quoi ! Dans ce même temps, le dessin animé “La petite sirène” deviendra film Disney en 2023, offrant le rôle d’Ariel à l’actrice afro-américaine Halle Bailey, alors … Force est de constater qu’en plein marasme appelant à une tendance de sobriété, le courant parfois passe encore bien. Et il arrive même que des caméléons, bien que harassés, se glissent dans la bonne prise de progrès.

Émilie Rencien