Blois, un patrimoine en mutation


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En 2016, la Ville de Blois a fêté les 30e anniversaire du label Ville d’art et d’histoire. En 1986, lors de la signature la convention, celle-ci était essentiellement basée sur le Château Royal et le patrimoine monumental. Mais qu’en est-il en 2017, alors même que le sens du mot patrimoine est en perpétuelle évolution ?

Le 12 mai 1986, la Ville de Blois et l’État signent une première convention Ville d’art et d’histoire. Celle-ci fait l’objet d’un renouvellement le 28 janvier 2010 pour dix années supplémentaires. « Lors de la signature en 1986, la convention était essentiellement basée sur le château et sur le patrimoine monumental. Blois est une ville Renaissance et cela justifiait la labellisation Ville d’art et d’histoire », rappelle Emmanuelle Plumet. Pour l’animatrice de l’architecture et du patrimoine chargée du label, « lorsque l’on regarde la constitution du secteur sauvegardé qui aboutit en parallèle du label, mais dont les études commencent à la fin des années 50, le périmètre concerné coïncide avec la période Renaissance. Et il prend très peu en compte les édifices du XIXe. C’est une vision patrimoniale qui montre que nous n’étions pas sensibilisés de la même façon que nous le sommes aujourd’hui. Actuellement, la tendance est à l’hyper patrimonialisation, tout devient patrimoine. »

En 2010, année de reconduction de la convention du label, la vision patrimoniale évolue et le champ lexical aussi. Lorsque l’UNESCO choisissait de faire du Val de Loire un espace majeur du patrimoine de l’humanité, elle l’inscrit au titre des paysages culturels aux côtés des plus grands sites mondiaux. Un classement loin d’être neutre. Car, il prend en compte le patrimoine monumental, mais également les jardins, la vigne et le génie de l’homme. C’est donc une vision plus globale et environnementale. On viendra désormais à Blois et dans la région pour le cadre de vie plus que pour les monuments eux même.

Rien de moderne pourtant à ce concept. « C’est quelque chose que l’on retrouvait déjà au XVIIe siècle, comme l’a montré l’exposition Destination Blois, le pays des châteaux… qui révélait la longue histoire du tourisme à Blois. »

« La diversité fait le charme de Blois »

Alors, si le service Ville d’art et d’histoire travaille toujours sur la Renaissance et le périmètre sauvegardé, désormais il le fait tout autant sur le patrimoine ligérien et contemporain.

Ses travaux montrent un Blois multi facettes. On y retrouve des traces de la période médiévale, la Renaissance, une bonne empreinte du XVIIIe avec évêché et l’urbanisme environnant, le XIXe et l’urbanisation d’Eugène Riffault, le Haussmann blésois, Halle aux Grains, Chocolaterie et enfin le patrimoine du XXe avec la reconstruction et les quartiers Nord. Ces derniers viennent d’être labellisés patrimoine du XXe. À en croire Emmanuelle Plumet, « c’est toute cette diversité qui fait le charme de Blois ». Et pourtant, le château aurait tendance à tout écraser. « Cela vient déjà de la communication réalisée au XIXe autour du patrimoine monumental. On misait alors sur le château pour attirer les voyageurs. Il fallait trouver des arguments marketing nouveaux, car contrairement à d’autres régions, comme la Bretagne ou le Pays Basque, le Val de Loire n’a pas suivi la vague régionaliste qui participera à la construction identitaire du XIX. »

« On est toujours dans cette communication lorsque par exemple on fait une campagne d’affichage sur Paris. Ce sont toujours les châteaux que l’on va mettre en avant », indique Mme Plumet rappelant que pour autant, il y a une remise en question sur le patrimoine vivant et la médiation. Le développement des spectacles son et lumière dès les années 60, les animations d’escrime aujourd’hui, montrent cette recherche d’animation et d’innovation permanente. On met de plus en plus en exergue les animations par rapport au monument qui disparaît petit à petit. Et la Loire à vélo en est le parfait exemple avec en toile de fond une façon nouvelle de découvrir les châteaux. »

Un patrimoine qu’il faut bien expliquer

Blois est donc un terrain de jeux fascinant si l’on possède les clés nécessaires à sa compréhension. « On croit que tout a été écrit, depuis l’ouvrage « Blois, la forme d’une ville » de Annie Cosperec paru en 1994 à l’Imprimerie nationale. Pourtant, les recherches et les regards en Histoire de l’art ont beaucoup évolué depuis sa publication. Parfois, les écrits existants ont besoin d’être dépoussiérés », reconnaît Emmanuel Plumet. « Prenons pour exemple le gouffre. Cet ouvrage alimentait les fontaines de Blois. Le travail de Pierre de Valence, qui suscitait l’admiration des visiteurs du XVI, fait partie d’un patrimoine qu’il faut expliquer et confirme l’importance de la médiation. Tout comme l’Aitre Saint-Saturnin ou encore le pavillon Anne de Bretagne. Ce dernier est un monument unique en France, en termes de symbolisme dans les jardins et de décor sculpté. »

« En ce qui concerne le patrimoine du XXe, la reconstruction et les quartiers Nord font partie d’un ensemble singulier. Déjà au XIX, les ingénieurs prennent le pas sur les architectes. La technicité l’emporte sur le geste artistique et les grands ensembles constituent le paroxysme. Cela commence avec la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale. On veut bâtir vite en on déblaye rapidement le centre-ville totalement détruit découvrant ainsi des points de vue nouveaux. L’exemple parfait ce sont les rues Henri Drussy et Émile Laurens qui offrent une perspective nouvelle sur la cathédrale et château depuis la place de la Résistance. »

C’est aussi l’époque ou le tourisme entame son développement. Sur la place du château, on va conserver le point de vue sur la Loire et on prend la décision, avec le ministère des beaux Arts de l’époque, de reconstruire les hôtels d’Amboise et Epernon pour donner une échelle au château. Et l’on débat sur la destruction de la Maison de la magie qui sera finalement conservée.

Cette reconstruction dessine un centre-ville moins dense et réduit de la sorte le nombre de logements. Il va donc falloir en construire des nouveaux. On commence alors à développer le préfabriqué en béton qui sera utilisé dans les grands ensembles des quartiers Nord. Des cellules d’habitation qui symbolisent la modernité de l’époque et dont l’optimisation des techniques de construction aboutit aux barres d’immeubles et aux tours. Rappelons qu’à l’époque ces constructions constituent une véritable révolution en termes de confort et de qualité de vie.

Et que dire de la basilique de la Trinité qui répond au mouvement d’architecture d’églises des années 30 et de l’imprimerie Quebecor dont la façade donnant sur l’avenue de Vendôme, construite au début des années 60, est l’une des plus grandes œuvres du l’ingénieur Tullio Patscheider et le sculpteur Carlo Ramous.

Le bâton de réglisse, spécialité oubliée de Blois

Dans sa diversité, Blois reste une ville très marquée par la royauté. Selon Emmanuel Plumet, « au XVIIe, les visiteurs et notamment les étrangers, se rendaient en Val de Loire parce que c’était la région ou l’on parlait le mieux français. Pas de régionalisme, donc pas de dialecte ni de plat typique. Enfin presque ! Le « bâton de réglisse » était une ancienne spécialité locale qui va perdurer jusqu’à la guerre 14-18. La preuve en est que des guides touristiques du début du XXe venaient gouter la fameuse Olivette de Blois qui devait être un bâton de réglisse. »

Une observation dont Mme Plume se fait l’écho en citant Bruno Guignard, historien et auteur d’une quinzaine d’ouvrages dont quelques-uns sur Blois. Selon lui, Auguste Poulin aurait développé un chocolat à la réglisse. En bâton ou en bombons, la réglisse aurait été le grand oublié des spécialistes de Blois.

Tout comme le vin des Grouets. Un projet Ville d’art et d’histoire a débuté en 2016 sur le quartier avec une visite viticole en été. « Les recherches ont relevé l’existence au XVIe et XVIIe siècle de multiples closeries. Avec l’appui de la maison du vin, nous souhaitons mettre en place une vigne pédagogique ludique dans le quartier. Un projet qui n’aboutira que d’ici quelques années, le temps de trouver l’équilibre entre animation et recherche scientifique, de fédérer les partenaires et d’obtenir les autorisations. »

Car le service Ville d’art d’histoire évolue lui aussi et s’apprête à devenir un pôle de ressources. La ville offrirait ainsi un appui aux acteurs touristiques et notamment aux guides qui proposent des visites du territoire « Notre priorité, par rapport au label, est de garantir de visites de qualité avec un fond historique, conclut Emmanuelle Plumet. Nous assurerons les recherches et les mettrons à disposition de ces acteurs, notamment les guides indépendants avec lesquels nous signerons des conventions de partenariat. »

ARP