Entre guerres, de François Lecointre, par Marieke Aucante


La guerre nous rattrape, que ce soit en Ukraine ou au proche Orient. Dans ce très beau texte écrit à la première personne, le général Lecointre, ancien chef d’état-major des armées, grand chancelier de la Légion d’honneur fait le récit de sa vie militaire, depuis la naissance de sa vocation jusqu’aux terrains de guerre au Rwanda, à Sarajevo ou en Irak.

Son père était commandant de sous-marin et enfant, il attend son retour :  » Et puis le voilà, silhouette puissante, noire, longue, précédée d’une vague d’étrave à peine visible, simple masse liquide sans écume, fendue par le masque du sonar et qui glisse en lourdes draperies transparentes sur la coque sombre.  »

Sans complaisance pour lui-même il évoque avec une grande lucidité, comment le soldat se retrouve dans la violence, au bord de la barbarie si les circonstances s’en mêlent. :  » Puisque nous sommes soldats, il ne faut pas nous envoyer à la bataille en imaginant que nous pourrions ne pas avoir à combattre… Un soldat ne peut pas se lancer dans la terrible mêlée sans être happé par cette exigence, puissante du déchaînement de la violence.  »

La société a longtemps offert son indifférence à ceux qui, au péril de leur vie, combattent pour défendre la France. Aujourd’hui que la guerre est là, nous y prêtons enfin attention. Mais avons-nous compris que nos soldats envoyés au front n’y font pas de la figuration ?  » Il faut être prêt à écouter ce gamin de 20 ans, défiguré ou cloué à vie sur un fauteuil roulant, à le regarder en face, à rire avec lui et à se sentir infiniment redevable du don qu’il a fait à son pays…  »

L’auteur plonge au cœur de ses sentiments, examine le doute, la peur qui peut surgir à tout moment et n’élude pas la question essentielle, le sens de l’action.  » La peur a un lien avec l’incertitude. Moins la menace est précise, plus la crainte est diffuse, vague. Une sorte de douleur lancinante avec laquelle on doit s’habituer à vivre. Comme un malaise, un inconfort que l’on peut espérer dominer par un effort de volonté.  »
Et puis il y a cette phrase à longuement méditer que le Genéral Lecointre nous donne en fin de chapitre intitulé le combat :  »  Le combat ne m’a pas forgé le cœur et l’âme, il m’a simplement rendu lucide. J’en sais désormais suffisamment pour ne pas me croire préservé, par ma simple qualité d’homme, du surgissement de l’animal qui gît en moi « .
Le livre se termine par de belles pages sur la fraternité, qui permet aussi de surmonter les peurs. Un engagement collectif, une fraternité d’armes, supérieure à une fraternité de sang, un sentiment de chaleureuse et indéfectible amitié entre soldats .
La dernière phrase sonne comme une prière reconnaissante  » O, mes Forbans, mes frères, aidez-moi à ne jamais vous laisser déserter mon esprit !  »

Quand vous lirez « Entre Guerres », vous penserez à Maurice Genevoix et à  » ceux de 14 « , à Julien Gracq dans  » Le rivage des Syrtes « , à Georges Bernanos dans  » les Grands cimetières sous la lune  » et à bien d’autres auteurs majeurs aujourd’hui disparus.

Marieke Aucante


Entre Guerres
François Lecointre
Gallimard
17 euros – 115 pages

À retrouver chez votre libraire habituel