Centre-Val de Loire Étoilés Michelin : un monde d’hommes et de gros sous ?


Après Cognac en 2022 puis Strasbourg en 2023, la cérémonie du guide Michelin avait posé ses paillettes et étoiles à Tours, en Indre-et-Loire. La ville avait été choisie comme territoire hôte 2024. Compte-rendu a posteriori du contenu de ces fourneaux si singuliers.
Une cérémonie de remise pour récompenser les restaurants étoilés Michelin, mais pas du tout ouverte au public, qui aura mobilisé les deniers de la région Centre-Val de Loire, la ville de Tours, la métropole et partenaires consorts associés. Pour l’édition de Strasbourg, le chiffre de 400 000 euros a circulé. Une escarcelle de 500 000 euros en Centre-Val de Loire ? Impossible de savoir précisément l’enveloppe accordée pour la date Micheline à Tours, mais qui était certainement de cet acabit. “Ce n’est pas important, pourquoi toujours penser forcément argent ?,” nous auront confié journalistes culinaires parisiens et divers élus régionaux pendant deux jours, préférant balayer la polémique et s’attarder sur la joie générée par de telles festivités gastronomiques en région. L’essentiel était en effet de vivre ce gigantesque rendez-vous au moins une fois dans sa vie, de profiter de cette parenthèse joyeuse dans une époque assez triste. Il n’aura empêché qu’une autre interrogation aura néanmoins succédé à la première, entendue régulièrement les 17 et 18 mars devant notre stylo et notre appareil photo posés à Tours. Une soirée Michelin, c’est sympa, mais pourquoi faire exactement ? François Bonneau, président du Conseil régional, et Emmanuel Denis, maire de Tours, l’ont répété à l’envi : “car le Centre-Val de Loire est une évidence, la Renaissance, le jardin de la France !” Il est vrai que l’évènement d’ampleur nationale a permis de donner un formidable coup de projecteur sur cette région Centre-Val de Loire, menée à cette occasion par l’ambassadeur, le chef doublement étoilé de “Fleur de Loire” à Blois, Christophe Hay. Pas moins de 150 journalistes, locaux, nationaux et même internationaux, plus des influenceurs(ses), ont été conviés sur place, et ont pu entre deux cocktails mondains où ils ont pu faire connaissance avec les savoir-faire et spécialités locales (Cf. encadré), s’inscrire à des expériences immersives de découverte des châteaux (de Chenonceaux, d’Azay-Le-Rideau, de Villandry, etc.), du centre de création contemporaine Olivier Debré et du street-art à Tours, de l’agence Catherine Barrier, fille du célèbre chef Charles Barrier, et bien d’autres lieux. De quoi générer des articles et des retombées de visibilité immédiate. N’omettons pas le succès d’affluence sur le village gourmand et ses stands, accessibles au public le dimanche 17 mars, près de la gare de Tours. La bonne chère représente toujours un savant moyen de réconcilier et mettre d’accord tout le monde ! Et puis, sous le faste et la fête, la crise agricole n’a pas été oubliée avec tous ces bons produits régionaux de cette manière installés sous le feu de la rampe ; les vraies vedettes finalement (Cf. l’encadré,ndlr). Vu de l’extérieur, dans un contexte morose, les critiques assassines, souvent faciles sur les réseaux sociaux par des internautes cachés derrière leurs écrans, ont toutefois fusé. C’est un sport très français de toujours voir le verre à moitié vide… Du reste, en Indre-et-Loire, devant la salle Vinci, certains chefs étoilés, prudents, ont indiqué “faire attention à ne pas renvoyer une image trop élitiste”, en dépit d’un dîner de gala au château de Chambord, dans le Loir-et-Cher, le 17 mars. Passées ces considérations, nous aurons noté un énième point d’importance, sans tomber ni dans le machisme ou sexisme : lors de cette incroyable soirée estampillée Michelin à Chambord à laquelle nous étions conviés, dans notre robe respectant le dress code communiqué, justement, autant pour les yeux que les palais, moult tables étaient très masculines…

Les femmes, stars discrètes mais valorisées
Sur les 62 distingués cette année (palmarès 2024 complet sur https://guide.michelin.com/fr/fr), une seule étoile Michelin aura été décernée à un restaurant régional, l’Auberge du XIIe siècle à Saché (37), et toujours pas de troisième étoile pour le chef précité Hay. Et parmi le public d’initiés dans la salle de Vinci en Indre-et-Loire, encore des hommes : Philippe Etchebest, Yannick Aliéno, Mory Sacko, Thierry Marx, parmi les plus connus médiatiquement que nous avons su distinguer. Où étaient les femmes ? Le brillant chef d’orchestre, Gwendal Poullenec, directeur du guide Michelin depuis 2018, aura eu cette formidable initiative de consacrer pendant la cérémonie du 18 mars un focus sur la gent féminine qui ne manque, elle non plus, pas de talents dans la gastronomie. Elle ne sait sans doute pas autant, oser et se mettre en avant, naturellement, que ses homologues masculins. M. Poullenec a de fait en direct “souhaité encourager celles qui ont été longtemps invisibilisées”. Cela ne mange pas de pain mais ce n’est pas anodin. La chef pâtissière, Nina Métayer, a été aperçue au milieu des convives à Tours, ainsi que la chef cuisinière qu’on ne présente plus, Anne-Sophie Pic. Ouf ! Retenez par conséquent que derrière tout bonhomme Bibendum, se cachent de grandes femmes, et ce n’est que le début d’une longue lignée, en cuisine ou en salle. Un espoir qu’aura en tout cas su soulever ce show pantagruélique tourangeau.
Émilie Rencien

 

*************

Un cocktail pris en main localement
Parmi les Loir-et-Chériens croisés à Tours, Christophe Lunais, qui dirige le restaurant Les Closeaux à Vallières-Les-Grandes. Cette cérémonie du guide Michelin a généré l’organisation de pléthore d’évènements autour de l’évènement d’envergure nationale. À l’instar de cette réception déjeunatoire à l’Hôtel de ville de Tours le 18 mars. Au menu, cake à la betterave et graines de courge, huître en gelée, petit gâteau au miel de fleurs… M. Lunais était du côté de l’orchestre et de la musique culinaire ce midi-là, accompagné de nombreux jeunes garçons et filles motivés. “Cette cérémonie Michelin, c’est quelque chose, c’est un autre monde mais ce qui était intéressant, c’est que personne n’a été oublié, tout le monde a été mis en contribution, sollicité par la Région,” relate M. Lunais. “L’organisation du cocktail tourangeau a été confiée au groupe de travail des Maîtres Restaurateurs en Centre-Val de Loire. L’objectif, au-delà de la réalisation du cocktail, était de créer du lien entre les maîtres restaurateurs de la Région, les écoles, les CFA et les producteurs de la marque C du Centre dans la mesure du possible.” Pari réussi car au total, à Tours, 18 maîtres restaurateurs de la région et 10 écoles ont participé à la préparation des pièces le 18 mars midi. Plus 4 vignerons : le Domaine Tatin sur Quincy, le Domaine Plou Touraine Amboise, le Clos Chalon de Chinon et le Domaine des Vaucorneilles Touraine. “L’entreprise Covifruit (45) a fourni les jus de fruits,” complète Christophe Lunais. “Il y avait aussi la brasserie des Merveilles (45); le Centre régional interprofessionnel de l’économie laitière, le Criel, pour les fromages de la Région, et les cafés Jeanne d’Arc d’Orléans.” En résumé, outre la mise à l’honneur d’une restauration de qualité régionale, l’un des points positifs fut l’opportunité donnée aux lycées hôteliers d’être partie prenante de ce gros rendez-vous Michelin. De quoi assurément susciter et confirmer des vocations dans des métiers qui souffrent entre autres de manque de main d’œuvre.
É.R.