Chambord : Les cinquante nuances de bois de Wang Keping


L’artiste chinois s’expose au château de Chambord depuis le 15 octobre 2023 et jusqu’au 17 mars 2024. Au menu, dix-neuf sculptures faites de bois mais dans un même temps, expressives de sensualité.
Des duos. Après les “pollens clandestins” à base de moutons de poussière de Lionel Sabatté de mai à septembre, place aux couples de Wang Keping d’octobre à mars. Eh oui, l’art contemporain peut régulièrement surprendre… Et interroge, d’une manière souvent fascinante. Pourquoi ? Et finalement pourquoi pas ! S’agissant de Wang Keping, les partenaires singuliers, sculptés dans des grands formats (400 à 500 kg pour certaines pièces !) sont mis en scène par l’artiste chinois selon un modèle homme-femme. Et ne croyez pas que ces couples-là soient faits de bois. En fait, si, concrètement, ils sont fabriqués grâce à des morceaux de chênes (trois issus de la forêt de Chambord), des frênes, des acajous, etc., mais sous cette apparence massive, des organes génitaux, parfois évidents et apparents, réchauffent l’atmosphère ! Ce sont bien des couples, et non juste des colocataires… Comme ce tableau, dans l’une des salles au deuxième étage du château de Chambord (Cf. notre photo), sur lequel certains visiteurs, percevaient des grains de café au premier regard, puis se rapprochant, ont plutôt reconnu, décrivons cela ainsi, une ode féminine. L’intitulé de cette oeuvre, apposée sur un petit carton, résume bien cette vue masculine, en bois de sipo : “fantasme”. Les curieux(ses) pousseront la porte pour en découvrir davantage : derrière une certaine sensualité, le cheminement artistique est fascinant, naît à chaque fois de la rencontre de cet artiste avec un bois. Il ne coupe jamais un arbre pour son art. Il écorce les troncs morts, taille dans la masse avec une tronçonneuse, puis peaufine les formes à l’aide d’une gouge, d’un ciseau à bois, ou bien d’une scie, qui accompagnent le travail de son esprit et de ses mains. Il laisse ensuite sécher plusieurs années (deux à trois ans) avant de brûler ces ensembles au chalumeau et de les polisser. Le résultat final se révèle massif, noir, brillant et mat, donnant une impression saisissante, envoûtante. Les sentiments sont mêlés. “En général, quand on voit ses oeuvres, on se tait,” a commenté Yannick Mercoyrol, directeur du patrimoine et de la programmation culturelle du Domaine national de Chambord, le 12 octobre, aux côtés de M. Keping, accompagnée de sa fille. Et une fois devant, c’est tout à fait vrai !

Un peu de douceur et de liberté d’expression

Toutefois, le travail de Wang Keping est bien plus large : dans cette exposition, le visiteur découvre également sur son parcours de visite deux sculptures historiques, parce que l’artiste, marié à une Française et arrivé en France en 1984, a réussi à cette époque à les rapatrier par un tour de passe-passe dans notre pays, et aussi, puisqu’elles ont été montrées au public en 1979 lors d’une exposition non officielle sur les rampes du Musée national des beaux-arts de Pékin. Elles avaient fait alors la Une du New York Times notamment; l’une montre un visage avec un oeil crevé et une bouche cousue, tandis que l’autre présente une caricature du dictateur Mao. Wang Keping a fait partie du mouvement artistique dissident chinois et d’avant-garde contemporaine, “les Étoiles”, à la fin des années 1970. Ce collectif défendait particulièrement la liberté d’expression dans le travail des artistes qui en faisaient partie, défiant le statut quo. Une dualité, ici donc au pouvoir davantage politique, qui crée, malheureusement encore sens dans une actualité nationale et internationale 2023 bien compliquée. En tout cas, avec ses paires éclectiques, Wang Keping parvient, depuis le château de François Ier, à distiller un peu d’amour dans ce monde de brutes.

É. Rencien