Croyances et légendes paysannes de nos campagnes par George Sand


A l’occasion de la sortie de cet ouvrage qui regroupe des textes extraits de l’œuvre de George Sand nous faisant découvrir les croyances et les légendes du Berry, nous avons, comme dans un rêve, rencontré cette grande romancière pour évoquer ces superstitions sorties de la nuit des temps.

Aurore Dupin, une question me turlupine, pourquoi George Sand, surtout pourquoi George ?

« L’amour mon cher Monsieur, comme toujours c’est l’amour qui fait les choses. En 1830, à Paris, j’ai rencontré Jules Sandeau. J’ai 26 ans, il en a 19, et nous tombons éperdument amoureux. Après bien des scènes, je trouve un accord avec mon mari Casimir Dudevant. Je l’autorise à rester à Nohant s’il me permet de vivre la moitié de l’année à Paris. Pour être honnête, j’ajoute que je lui ai réclamé en même temps une petit pension… En juillet 1831, je m’installe avec mon amant quai Saint-Michel et nous écrivons ensemble « Rose et Blanche » qui paraîtra en décembre. Je ne voulais pas que que mon nom soit imprimé.  Le livre sort donc sous le nom de Jules Sand, contraction de Sandeau. Un peu plus tard, pour un autre éditeur, j’écris « Indiana ». Je voulais le signer Jules Sand, ce que refusa, par modestie, Jules Sandeau, ne voulant accepter la paternité d’un ouvrage qu’il n’avait pas écrit. Nous décidons de garder Sand et je choisi George, qui me semblait « faire berrichon ». Ainsi naquit Georges Sand. »

Ah le Berry, c’est votre terre, votre refuge, votre havre de paix ?

« Oui c’est tout cela, ainsi que ma source d’inspiration dans laquelle j’ai puisé mes romans champêtres et mes « légendes rustiques ». Je ne m’en suis jamais éloigné très longtemps. Mes racines étaient là, dans cet environnement sauvage et mystérieux qui faisait vibrer mon cœur et stimulait mon âme d’un puissant romantisme.

J’avais délimité, moi-même, le périmètre aimé. J’en avais tracé tracé la carte en faisant courir une ligne circulaire partant de Cluis-Dessus se dirigeant vers Aigurande, Châteaumeillant, Verneuil, Corlay, puis vers les bois de Magnié, ensuite remontant vers le Lys-Saint-Georges, et Neuvy-Saint-Sépulcre pour se retrouver au point de départ. Pratiquement tous mes souvenirs se sont concentrés dans cette région peu étendue. »

D’où vous est venue cette appétence pour le terroir, les moeurs, les  coutumes, les traditions paysannes ?

« Dans ma première enfance, ma mère, qui sortait du peuple, me contait des histoires et me chantait des chansons populaires. Son influence ainsi que celle de ma grand-mère, aristocrate, qui vivait à la campagne furent importantes. S’y sont ajoutés les jeux avec les petits paysans du village, et plus tard, adolescente, les tournées avec le régisseur Duchartre d’une part et mes visites à la bibliothèque du château de Nohant d’autre part et la fréquentation de Laisnel

de la Salle. Chacun connaît mes trois romans dits champêtres, mais chronologiquement ils n’arrivent qu’après Jeanne, qui est ma première tentative d’une description à la fois exacte et romantique des mœurs et des sentiments des campagnards. »

Des folkloristes vous ont critiquée et mis en doute vos connaissances du terroir. Jalousie ou envie ?

« On m’a critiquée souvent mais je me suis défendue. J’arrive après Nodier en ce qui concerne les croyances rurales et je n’ai jamais cherché à donner des mœurs et coutumes de la Vallée Noire un tableau complet. Il est vrai qu’en plus de la réalité observable j’aimais poétiser, romancer. Je ne me suis pas donné pour but de décrire des mœurs locales pour elles-mêmes, ni pour la science, je désirais seulement et humblement toucher les lecteurs. »

Vous disiez qu’une grande frayeur enfantine vous avait profondément marquée ?

« On n’oublie jamais une frayeur d’enfance. Nous portons tous en nous le souvenir horrifié de bruits de pas aussi hostiles qu’imaginaires dans le grenier de la maison familiale, d’ombres immenses et menaçantes embusquées au coin du bois, de hurlements de fantômes malveillants les nuits de grand vent. Je n’ai probablement pas échappé à la règle commune et j’ai dû aussi me nourrir tout au long de ma vie,  des peurs irraisonnées surgies de l’enfance… Au nombre de ces frayeurs, il ne fait guère de doute qu’il faille compter l’errance nocturne, cette peur que connaît le voyageur égaré, pris par la nuit. L’intrigue de la « Mare au Diable » tourne autour de ce thème qu’on retrouve au demeurant en bien d’autres de mes ouvrages : la Petite Fadette, le Meunier d’Angibault, etc. »

Pouvez-vous nous la raconter  ?

Ma mère me conduisait à Nohant chez ma grand mère où je devais séjourner quelque temps. Sans doute évalua-t-elle mal le temps nécessaire pour franchir la distance séparant Châteauroux, où nous avions fait halte pour déjeuner, et Nohant. On perdit donc du temps à Châteauroux et l’on se mit en route trop tard. Un méchant hasard voulut que le cocher de la patache de louage fût un jeune inexpérimenté et peu familier de ces landes sauvages où à l’époque, les maisons et hameaux se faisaient plus rares que les chimères et les sortilèges. On se trainait et la voiture était incommode. Les heures passaient et la nuit menaçait. Allait-on trouver à faire halte en quelque ferme, car, bien sûr, nous avions d’ores et déjà abandonné l’espoir de gagner Nohant. Mais la nuit nous a surpris, et de hâvre de paix point ! Le gamin tremblait sur son siège de cocher et moi je me serrais contre ma mère. Elle avait toutes les peines du monde à me convaincre que ces râles qu’on entendait n’étaient pas les plaintes d’âmes damnées mais le chant de bonasses grenouilles. Dans cette brande, on dirait que chacun avait dessiné sa propre voie. Le cocher a cru voir une route s’ouvrir enfin, il y a poussé son pauvre cheval… dans une mare asséchée dont de pitoyables efforts ne parviendront pas à sortir l’équipage. Dételant la monture, le cocher s’est enfui dans la nuit. Nous voilà pris au piège de la brande.  Ma mère redoutait les voleurs. Me réveillant d’un léger endormissement, à peine l’œil ouvert, je poussais un grand cri. Ma mère regarda dans la même direction. Au loin, une lueur dansait au dessus de la brande, une lueur comme celle qu’on dit dans les contes. Instinctivement nous nous tassâmes, espérant voir la lumière passer à l’écart. Mais elle montait directement sur nous. Et voilà bien maintenant qu’on percevait des éclats de voix…

Pétrifiée, je ne trouvais même plus la force de crier. Et cette maudite lumière dansante qui ne cessait de grandir. Elle approchait à menacer lorsqu’on entendit une voix questionner : « Oh ! Oh ! Etes-vous bien là ? ». C’était notre cocher qui ne nous avait point abandonnées !  De Châteauroux à Nohant, ce voyage dura près de vingt-quatre heures dont une longue nuit d’épouvante qui, sans doute, impressionna à jamais mon esprit et aussi sûrement mon… imagination.

Selon vous qu’elle est la plus sinistre, la plus répandue de ces visons de peur communes  ?

« Autour des mares stagnantes et des sources limpides, dans les bruyères comme au bord des fontaines ombragées dans les chemins creux, sous les vieux saules comme dans la plaine brûlée du soleil, on entend, durant la nuit, le battoir précipité et le clapotement furieux des lavandières fantastiques. Les véritables lavandières sont les âmes des mères infanticides. Elles battent et tordent incessamment quelque objet qui ressemble à du linge mouillé, mais qui, vu de près, n’est qu’un cadavre d’enfant. Chacune a le sien ou les siens, si elle a été plusieurs fois criminelle. Il faut se garder de les observer ou de les déranger ; car, eussiez-vous six pieds de haut et des muscles en proportion, elles vous saisiraient, vous battraient dans l’eau et vous tordraient ni plus ni moins qu’une paire de bas. »

Ce fut une belle rencontre avec la bonne dame de Nohant, une nuit de grand vent. Ce fut un grand moment que cette interview apocryphe. Merci Aurore, surtout merci George.

Vous retrouverez dans ce livre l’ambiance, l’atmosphère du Berry de l’époque et vous vous délecterez avec un petit frisson dans les ténébreuses légendes et les croyances magiques du pays aimé de George Sand.

Gérard Bardon