Un peu de patois pour commencer


Comment va le Berrichon ? interroge un Monsieur. Ben, moué ça va… et pi toué, qu’y répond. Se sont-ils compris ? Assurément. Car le parler du Berry, ne devient difficile que lorsqu’il utilise des mots éloignés du français d’aujourd’hui. C’est rarement le cas. Et, puisque nous commençons une nouvelle année (scolaire), c’est bien le moment d’évoquer ce précieux vocabulaire.

A St-Georges-sur-Moulon, Natacha Ledoux, professeur des écoles, a justement pris cette initiative. Ainsi, lorsque la pluie tombe, elle dit aux enfants que vla un agas d’iau, une forte averse, et une fillette remarque que sa mamie dit ça aussi, c’est un petit pont entre les générations. Si l’âge des enfants le permet, on peut ajouter que agas (ou agâs) dérive de aqua, l’eau en latin, et faire la liste des mots français qui le contienne. Il ne s’agit évidemment pas de substituer le berrichon au français mais de donner du relief à l’enseignement. La difficulté est peut-être d’y associer l’accent berrichon, nos chansonniers le savent bien mais ils se font de plus en plus rares.

Voici pourtant Pascal Pauvrehomme. En ligne de mire, les agriculteurs qui exploitent la terre avec une longueur d’avance sur ce que faisaient leurs parents. Extrait1 :

Quanque aux bouchures défleurit l’mai,

Les v’là déjà après tout f’ner.

Ça l’arsemb’e une épidémie,

Coumme la maladie d’ la faucherie.

I’ râpont tout : pacages et prés.

Sitôt coupé, sitôt serré.

Ça l’a tout juss’e l’ temps d’ sécher.

Facile à comprendre, n’est-ce pas ? Il suffit de lire lentement et d’observer la nature !

Dans un autre genre, La compagnie des Sans Lacets met scène les textes en patois de Betty Jacquey. Exemple2 :

Mon pouvr’ houmm’ a qui don’ qu’tu songes,

Y’a sûr’ment ben queuq’chous’ qui t’ronge,

Qui don qu’c’est qu’tas vu aujordh’ui,

Qu’té v’la trist’ coumm’ un bounnet d’nuit…

Amélie Robinet est une jeune femme d’aujourd’hui. Mais devant son public, elle raconte ses confidences du Berry avec l’accent de ses ancêtres et une gestuelle qui ajoute au plaisir du spectateur.

Côté roman, on lit avec plaisir La Folie-Bâton de Monique Chainet3, une histoire berrichonne racontée en français mais riche en dialogues qui sont dits coum dans l’temps. « C’est-i malheureux, la femme à l’Edmond, à m’donnerait s’ment pas un litre de lait sans ticket pour vous aut’es » se lamentait la grand-mère pendant la guerre. Facile, le patois des années 50 n’était que du français déformé, pas trop éloigné du langage (très correct !) du curé ou du maître d’école. L’avantage, c’est que tous les lecteurs le comprennent, ce qui n’empêche pas l’auteur de glisser de temps à autre dans sont texte, un mot plus étonnant, comme une pépite, traduit en français, si nécessaire. Car tout n’est pas toujours simple, on ne devient pas expert en berriaud du jour au lendemain. Exemples : le berrichon dit desatteler pour dételer et dénaître pour mourir ; mais il prononce dérire pour rire (et pas pour pleurer). Subtile !

Au XIXe siècle, Laisnel de La Salle (1801-1871), un antiquaire des mots né du côté de La Châtre, professait que le patois « abonde de locutions originales, de dictions plaisantes et narquoises » ; et il ajoutait : « il semble que le pittoresque de notre contrée se reflète dans le langage imagé de ses habitants ». En deux phrases, tout est dit. Le berriaud, une langue qui chante et qui danse en sabots, est d’abord un point d’ancrage de notre identité, avec cet accent traînant qui roule les r. Mais c’est aussi un élément de notre folklore, étroitement lié à nos traditions, aux liens entre les générations, aux spectacles truculents et colorés d’autrefois.

Alors, pour bien commencer cette nouvelle année, ne lâchons rien de notre passé… Chantons, avec Hugues Lapaire4 :

Où qu’y sont t’y ceux temps anciens,

Quand j’nous bijions darrié les meules

Pendant qu’ton pé faisait des liens

Au soulé qu’flambait les éteules !

Ou bien feuilletons le dernier né : un petit fascicule que l’on doit à Claude Nerrand, de Reuilly, qui a pris le temps de rassembler 500 mots de patois encore utilisés dans sa région, juste pour le plaisir. Bonne rentrée !

1 www.l-instant-secret.fr/pascal-pauvrehomme. Les ouvrages de Pascal Pauvrehomme sont publiés aux Editions La Bouinotte. 2 Betty Jacquey (1898-1980), J’ai glané pour vous (1963), repris par la Compagnie des Sans Lacets, www.sanslacets.fr. 3 Monique Chainet, La Folie-Bâton,Marivole, 2015. 4 Hugues Lapaire, Gente Rose. Solulé : soleil ; éteules : chaumes. Claude Nerrand, J’ai enendu ces derniers mots berrichons à Reuilly (en vente à l’office de Tourisme de la ville, 8 €).