La fulgurante ascension de la startup Ledger


La startup vierzonnaise, spécialisée dans la sécurisation de données, a acquis en quelques mois, maturité et croissance défiant toute concurrence. Elle vient de réaliser une levée de fonds record.

De gauche à droite : David Balland et Joël Pobeda les co-fondateurs de Ledger.

L.P.B. : Deux levées de fonds en si peu de temps, une croissance exceptionnelle, expliquez-nous cette fulgurance ?
Joël Pobeda : «  C’est extraordinaire d’avoir fait sur une même année deux levées de fonds de cette ampleur. La première en début d’année faisait quelques millions et aujourd’hui nous sommes à dix fois plus (CA de 46 M€). N’oublions pas que nous avons eu deux années durant une vraie « traversée du désert » où le marché n’était pas encore là. On peut expliquer par l’importance et le potentiel de la technologie sur laquelle on travaille. C’est un peu la même chose que ceux qui, dans les années 1990, ont travaillé sur la structuration internet. Pour nous, la technologie sous jacente aux crypto-monnaies ou autres, est aussi disruptive voire plus que ne l’a été internet. Les réseaux et infrastructures sont déjà prêts et aujourd’hui, c’est une couche supplémentaire sur ces réseaux que nous proposons ».

L.P.B. : C’est donc un potentiel énorme qui s’ouvre avec des perspectives de toutes natures ?
Joël Pobeda : « Effectivement, car ça peut toucher beaucoup de métiers. Aujourd’hui, on parle de monnaies, d’actif, de spéculation autour des crypto-monnaies. C’est la technologie de la blockchain* et il y a autant de particularités et de complexité comme ce fut le cas pour Internet. Nous sommes convaincus que demain, vous utiliserez la blockchain sans le savoir, il y en aura partout. Des créations d’emploi bien évidemment car notre ambition et notamment sur le bassin de Vierzon, c’est de construire le premier géant technologique européen. La vague internet a donné naissance au GAFAM* ; il n’y a pas un Européen dedans et nous sommes persuadés qu’avec la blockchain, il va y avoir une nouvelle génération d’entreprises qui va faire le ménage ».

L.P.B. : Les crypto-monnaies ; une réponse aux problématiques de demain ?
Joël Pobeda : « La technologie répond à des problématiques qui seront majeures demain. Nous, nous sommes sur les crypto-monnaies, sur les échanges de valeurs entre machines et demain de machines à machines. Ce qui est en filigrane, c’est l’identité numérique avec une signature par exemple, qui va permettre de payer, d’attester de votre identité, d’avoir une identité sur les réseaux. Aujourd’hui, votre carte d’identité peut être falsifiée ; demain, se sera une empreinte digitale. Une solution comme la notre permet grâce à la cryptographie de résoudre les problèmes de sécurité. Avec la blockchain, tout est décentralisé, il n’y a personne derrière qui sait, qui détient et c’est ça le grand changement. Aujourd’hui c’est vrai, nous sommes fichés et nous le serons plus avec l’empreinte digitale mais avec la blockchain, on redevient le patron, le maître de nos données. J’ai ma clé, mon identité numérique, que je suis seul à détenir. Certes, il faudra toujours un code, ne jamais le perdre et surtout pas l’insérer dans un téléphone ou ordinateur qui pourraient être piratés. Mais ce qui est certain, c’est qu’avec notre produit, si vous signez sur l’écran, il sera impossible de modifier l’ordre qui sera signé par le périphérique et en crypté ».

L.P.B. : Nous sommes dans l’ère du bitcoin* et certains, dont des économistes, pensent que ces monnaies virtuelles ne sont qu’une bulle.
Joël Pobeda : «  Ce qui est étonnant dans tout cela, c’est que depuis décembre par exemple, les principaux marchés comme Chicago travaillent sur les futurs bitcoin. Certes, il y a beaucoup de fluctuations, il y a des gens qui en profitent mais c’est la première fois que des particuliers ont pu se positionner avant les institutions. Avant, ils n’avaient que les miettes à ramasser. Le réseau est hyper sécurisé mais il est vrai qu’autour, c’est un peu le Far West. Régulateurs et administrateurs se penchent sur le problème et il y aura du ménage. Nous, nous ne sommes pas sur ce créneau, nous ne vendons pas des crypto-monnaies mais c’est notre devoir de faire très attention car il y a des dangers ».

L.P.B. : Expliquez-nous comment est né le projet ?
Joël Pobeda : « Il est né avec David Balland mon collègue co-fondateur. Nous étions partis sur un projet de plateforme musicale (ma formation) mais sans abonnement mensuel ; un système de type juke box avec des jetons où tu paies seulement ce que tu écoutes. David, qui est le scientifique m’a dit, « je ne vais pas réinventer un nouveau système de jetons, il y a un nouveau truc qui s’appelle bitcoin, on va prendre le protocole, on va faire non pas un bitcoin mais notre monnaie à nous pour pouvoir gérer nos jetons de juke box. On a mis en place les premières machines et coup de chance, on a produit des bitcoins qui valaient quelques dollars et en quelques semaines, c’était multiplié par 10. On a rangé nos bacs à disque et nous nous sommes lancés dans cette technologie. Nous avons donc pivoté sur les crypto-monnaies mais à cette époque, nous n‘étions pas sur la sécurité comme aujourd’hui. Nous avons donc lancé une sorte de vente de bitcoins et nous étions les premiers à les vendre par carte bancaire sur internet. Cela posait un problème de sécurité puisque c’est virtuel. On a contourné le problème, nous avons matérialisé le virtuel en mettant ces bitcoins sur une clé et celle-ci sera envoyée aux clients par UPS et lorsque la société nous dira que le client a signé, nous autoriserons la transaction. Nous nous sommes rapprochés d’une entreprise qui travaillait sur la sécurité car notre clé n’était pas sécurisée et elle c’était un coffre fort : on était fait pour s’entendre ».

L.P.B. : Dans la mise en place de votre projet, il y a eu des coïncidences heureuses, racontez-nous ?
Joël Pobeda : «  Oui, là aussi cela tient de l’extraordinaire et tout est le fruit d’une rencontre. Je m’étais inscrit sur internet à des journées de rencontres avec des acteurs qui commençaient à travailler sur ce secteur. Eric Larchevèque (aujourd’hui président de Ledger) était présent et son associé m’avait présenté comme celui qui arrivait de Vierzon. Présentations faites je dis à Éric Larchevèque, j‘ai acheté une maison à Vierzon qui appartenait à votre famille**, et j’ai retrouvé dans la cave, des archives avec notamment un arbre généalogique donc je vous connais. Nous démarrions le Bitcoin à Vierzon et on se rencontre à Paris où il était déjà dans le domaine du Bitcoin ».
Ledger est donc en passe de réaliser son objectif, devenir le premier géant européen technologique dans ce secteur. L’outil de production qui est en partie en Asie sera rapatrié désormais en France et notamment à Vierzon, avec des bureaux à New York au cours du premier trimestre et dans certains autres pays dans l’avenir. Ledger a commencé de produire à Vierzon et va poursuivre son extension sur le parc technologique avec à la clé, des créations d’emplois  et Joël Pobeda d’ajouter « Si nous voulons construire un géant européen, il faut s’en donner les moyens et embaucher à tour de bras et ouvrir des bureaux dans le monde. Il nous faut donc grossir très vite, non pas pour dire on veut être gros mais nous sommes sur un nouveau marché, c’est un peu l’océan où il n’y a personne dessus, nous avons un voilier qui avance pas mal, de manière assez logique. Maintenant, il nous faut construire un autre bateau, voir un paquebot et ne pas être un acteur lambda sur le marché ».
Jacques Feuillet

Crédit photo : T. Martrou

*Blockchain : Technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée fonctionnant sans organe centre de contrôle.
*GAFAM : Google, Apple, Facebook, Microsoft
*Bitcoin : Monnaie virtuelle de type cryptographique et un système de paiement
**Larchevèque : Famille de porcelainiers dont Marc Larchevèque , maitre porcelainier.
*** Technologie Ledger : Le Nano S : Clé de style USB avec puce sécurisée, écran embarqué et multi- devises. Elle permet une isolation totale des secrets cryptographiques.