Glyphosate : reculer pour mieux sauter ?


« J’accuse »… C’est une véritable colère qui est montée ce mois-ci sur les réseaux sociaux suite à un vote nocturne à l’Assemblée nationale rejetant l’amendement relatif à l’interdiction du glyphosate. Trois députés du Loir-et-Cher ont au passage été mis au pilori. Ils répondent.

#Balancetondéputé ? Un trombinoscope, diffusé par l’association Agir pour l’environnement, a massivement circulé sur la Toile au début du mois de juin. Parmi les têtes épinglées, Marc Fesneau (LREM), Maurice Leroy (UDI) et Guillaume Peltier (LR). Ils sont accusés d’avoir soit été absents, soit d’avoir voté contre l’interdiction du glyphosate. Pire, d’être hypocrites face au monde paysan. Enfer et damnation ! Pas étonnant, l’herbicide étant réputé cancérIgène. Cela fait de surcroît des années que les scandales s’accumulent pour la firme Monsanto et les consommateurs, plus attentifs au contenu de leurs assiettes, ne tolèrent plus que les lobbyings et la course à l’argent priment sur la santé à la fois publique et de la planète. Ce, d’autant plus que cet amendement de l’interdiction du glyphosate au rebut est intervenu pratiquement au même moment que l’annonce de l’autorisation d’importation d’huile de palme par le ministre Nicolas Hulot, destinée à la fabrication de biocarburant pour Total (et tant pis pour l’habitat dévasté des orangs-outans, un détail…). Les députés français ont de surcroît préféré fermer les yeux face à la souffrance animale en refusant de faire cesser le broyage des poussins mâles et des canetons femelles, l’abattage sans étourdissement, la castration à vif des porcelets, l’élevage en cage des porcelets, et caetera, et caetera. Alors, les gouttes de rejet ont fait déborder le vase des préoccupations du grand public et de fait, la fronde s’est furieusement manifestée derrière les écrans et les claviers. L’économie versus la santé ? Les esprits s’échauffent, s’insurgent, fustigent et trouvent des boucs-émissaires. En ligne de mire, ici, donc, le trio Fesneau-Leroy-Peltier affublé d’un bonnet d’âne selon les internautes. Mis au banc des accusés, chacun a le droit de se défendre face aux invectives, en l’occurence virtuelles. Le blésois Marc Fesneau, président du groupe Modem dans l’hémicycle parlementaire parisien, a voté contre et il l’assume ainsi sur son propre site Internet. « Ce choix reste conforme à ce sur quoi nous nous étions engagés. Nous voulons sortir massivement du glyphosate en trois ans et nous voulons le faire sans la loi. C’est notre pari initial. Il y aura des difficultés, sans doute des impasses techniques, mais mesurons l’enjeu : quelle transformation profonde de notre agriculture si nous y parvenons ! Et c’est sur cette transformation que nous demanderons à être jugés. Parce qu’il est parfois plus facile de voter un amendement que d’agir sur le fond des choses. Et c’est bien ce dont nous souffrons depuis des années : légiférer dans le vide pour la communication sans jamais se confronter au réel ni se soucier de l’application de la loi sur le terrain. (…) Nous avons un combat à mener au niveau de l’Union Européenne pour faire en sorte, que sur tout notre territoire européen, nous changions de pratiques. Dans le contexte réglementaire d’aujourd’hui, nous ne pourrons pas empêcher l’importation des 26 autres pays de l’Union Européenne de produits qui auront été traités au glyphosate. Quel serait le sens d’interdire un tel produit en France si cela amène (par un simple avantage compétitif de nos partenaires européens) à ce que cela favorise l’importation de produits de nos concurrents traités au glyphosate ? Les consommateurs et les agriculteurs auraient tout perdu. (…) L’enjeu est bien de changer définitivement de modèle agricole et non pas de remplacer le glyphosate par une nouvelle molécule miracle.»

Ni tout noir, ni tout blanc

Depuis la Sologne, Guillaume Peltier commente à son tour, un brin courroucé. « Je ne supporte pas ces méthodes qui consistent à pointer du doigt, à signaler si un tel ou un tel est présent ou non à l’Assemblée ! Ces mêmes qui pointent du doigt sont-ils là quand je reçois des dizaines de personnes en difficulté chaque semaine sur ma circonscription  ? Ils ne connaissent pas le travail parlementaire. Ca n’a aucun sens et il faut expliquer. Alors, je vais le dire, j’ai voté contre. Pourquoi ? Parce que je pense aux revenus de nos agriculteurs et je ne veux pas d’un texte qui affaiblirait cela. Aussi, je suis évidemment farouchement attaché à la défense de la santé publique et je dénonce la manne de quelques groupes mondiaux mais l’Etat doit prendre ses responsabilités et investir dans la recherche avant une interdiction. Il y a trop de failles pour l’instant. C’est un peu comme inciter les gens à acheter des véhicules Diesel puis après, leur dire qu’il faut les supprimer…» Quant à Maurice Leroy, c’est clair, net, précis. «Il est impossible d’être jour et nuit à l’Assemblée nationale, dimanches et jours fériés, voyons ! Nous étions nous-mêmes un peu révoltés de l’ordre du jour dense; même (François) de Rugy (président de l’Assemblée nationale) s’en est agacé, » réagit-il, de retour de Boursay, au Nord du département, et en route pour le bicentaire de la Caisse d’Epargne fêté en grandes pompes à Chambord avec l’animateur Stéphane Bern et le chanteur Mika. « Sinon, dois-je faire de la pédagogie et rappeler que je suis dans la commission des affaires étrangères, pas économique… Mais certes, on a le droit d’assister à tout. Il faut sans doute un peu d’instruction civique, le principe de base, ce sont les députés qui siègent dans lesdites commissions qui se prononcent sur lesdits textes et je ne suis encore une fois pas dans la commission économique ! Et savez-vous combien de lois sont régulièrement rejetées ? La bêtise virtuelle… Pour revenir toutefois au glyphosate, je comprends l’émotion des citoyens. Ma position est la suivante : j’aurais voté contre. D’abord, je suis scandalisé que le gouvernement actuel décide de l’interdiction dans les trois ans alors que l’Europe opte pour 5. Un peu de cohérence ! On ne devrait pas avoir des normes en France supérieures à la moyenne des normes européennes. Ensuite, je suis d’accord qu’il ne faut pas mettre cette interdiction dans la loi, l’engagement étatique a déjà été pris, il convient de laisser le temps à la profession pour trouver un produit de substitution et l’INRA d’ailleurs y travaille.» Stéphane Travert, le ministre de l’agriculture, promet pour sa part une loi d’interdiction du produit nocif d’ici 2021 dans le cas où il n’y aurait pas de solution dans le pré, notamment de remplacement. Patienter, attendre, mais pas outre mesure. Car comme les anciens en Sologne pourraient l’écrire, «et ma grand-mère en est morte »…

Emilie Rencien


 

Face aux incohérences,  les agriculteurs montent  également au créneau

Alors que le projet de loi agriculture et alimentation vient d’être adopté en première lecture par les députés, sur le terrain, l’heure est à l’incompréhension. Les jeunes agriculteurs (JA) du Loir-et-Cher, et plus largement de la région Centre-Val de Loire, ne décolèrent pas, ils s’expriment ainsi : « les promesses du candidat Macron aux agriculteurs étaient un revenu et pas de superposition aux règles européennes. Pendant huit jours de débats acharnés, nos députés ont le plus souvent défendu avec force les intérêts agricoles. On nous demande de garantir une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous. Pourtant à l’heure où le Mercosur fait peser des risques de distorsions destructeurs pour notre agriculture, des nouvelles charges et contraintes sur les exploitations agricoles françaises apparaissent. Les agriculteurs se voient imposer une compétition déloyale ruinant ainsi tous leurs efforts, leurs perspectives et leur confiance.  Et dans le même temps, l’État abime la filière colza en ouvrant ses portes à l’huile de palme importée pour la fabrication de biocarburant à la raffinerie Total de la Mède. L’impact a été immédiat pour le colza français dont les cours ont chuté suite à cette annonce. A un mois de la moisson, le revenu agricole va encore être raboté. » Confrontés au dialogue de sourds, la FRSEA et les JA de la région Centre-Val de Loire ont promis de se mobiliser en réponse à l’appel national pour bloquer à partir du 10 juin des sites stratégiques, symboles des distorsions de concurrence subies. Les intéressés insistent à nouveau. « Ensemble, agriculteurs et consommateurs, refusons ce jeu de dupe dans lequel nous sommes tous trompés ! L’occasion de dire, une bonne fois pour toutes : choisissons l’agriculture française et donnons-lui toutes ses chances de continuer à progresser. » A bon entendeur…