Interview de Chérif Zananiri sur « Mado, Retour vers l’Enfer »


Après Pisseur et Galoupiot, puis Léocadie, on voit arriver Mado ; après les deux ados, deux prénoms de femmes ?

Oui, mais quelles femmes ! Effectivement, Léocadie puis Mado sont deux héroïnes que j’ai créées à partir de récits véridiques que les hasards m’ont conduit à découvrir ; Léocadie, à partir d’une correspondance familiale sancerroise, Mado à partir de la correspondance de son époux qui habitait Nogent-le-Rotrou.

A la suite de Mado, faut-il s’attendre à une liste : Léonie, Alice, Germaine ?

Effectivement, nous avons tous dans nos familles des ancêtres qui ont contribué à la construction de notre pays et je pense qu’il faut que nous en soyons fiers et que nos enfants le sachent et que par la suite, à leur tour, ils fassent le nécessaire pour passer le témoin. Comme je me suis intéressé à l’action des femmes, je confirme que Mado sera suivie par d’autres héroïnes au grand cœur.

Revenons au récit de Mado. Qui est Mado ?

Mado est une jeune mariée qui voit son époux Gilbert partir à la guerre au mois d’août 1914 et se trouve seule pour survivre. Les circonstances l’amènent à rouvrir la cordonnerie de son mari, d’apprendre le métier et de faire revivre l’échoppe. A la différence des hommes, elle introduit dans son travail, une sensibilité, une intelligence qui vont l’inciter à faire naître autour d’elle, d’autres métiers : des rémouleurs, des ferblantiers, des écrivains publics et transformer la petite cour sur laquelle s’ouvrait le magasin en un lieu plein de vie.

Et pendant ce temps, le mari est dans les tranchées.

Disons que son mari est soldat et, s’il a l’impression aux premiers jours que la vie avec des jeunes de son âge présentait quelque agrément, il s’est rendu compte par la suite, qu’il s’agit d’un énorme gâchis : souffrances, séparations, dangers. On suit de loin en loin son parcours, ses pensées, ses rêves, les moments de solitude, de doute et le récit se déroulant, on voit que l’homme qu’il est devenu perd pied progressivement.

Puis il rentre chez lui…

Non, pas si vite. Sa première permission a lieu quatorze mois après son incorporation, ce qui est un laps de temps très long ; un intervalle au cours duquel l’homme change, compte tenu des circonstances. Il vit des moments très difficiles, sans nouvelles précises de sa femme, celle-ci préférant lui taire qu’elle avait rouvert la boutique en son absence et choisissant également de lui cacher l’arrivée d’un bébé. Comprenez donc que lorsqu’il revient, si longtemps après, il ne se reconnaisse pas chez lui. Tout a changé : comment voulez-vous qu’il ne soit pas déstabilisé ?

On imagine un conflit avec son épouse…

Pas du tout. Mettons-nous à la place de Gilbert. Il part loin de chez lui. Il parvient à survivre et, contrairement à beaucoup de ses amis morts sur les champs de bataille, il n’est pas blessé, il n’a, pour ainsi dire, aucune blessure physique, donc apparente. Il a donc été témoin de choses horribles comme la mort de ses amis et les blessures mutilantes. Il a vécu des moments de peur et d’effroi, des moments de solitude et d’angoisse. Des nuits à penser à ce que faisait son épouse sans lui, comment elle parvenait à vivre pour boucler les deux bouts. Il a perdu la tête ; bien des fois il s’est vu mort ou pire encore, la mâchoire arrachée, emportée par un obus comme les autres gueules cassées. De la souffrance poussée à la folie, il n’y a qu’un pas à franchir ; Gilbert le franchit.

Et il devient fou…

Pas au sens d’aliénation mentale, mais au sens d’incapacité à comprendre le nouveau monde dans lequel il fallait se réinsérer après la guerre. Je voulais donc montrer un couple en souffrance, pourtant encore soudé, cherchant à retrouver les joies auxquelles il n’avait pas eu le temps de goûter avant cette horrible faucheuse qu’est la grande guerre.

Vous nous montrez une fresque inhumaine, dure comme la guerre ?

Au contraire, c’est un récit de deux personnes qui s’aiment dans une situation compliquée ; deux héros qui vont tout faire pour retrouver leurs premières joies de jeunes gens. C’est un récit plein de tendresse et d’humanité.

 

 

Mado, le retour de l’enfer

Collection Parcours de femmes, Editions Marivole