La basse cour


Autrefois la basse cour était un élément important de la ferme, le domaine réservé de la paysanne qui régnait en maîtresse sur ses volatiles. Il faut dire qu’à cette époque les volailles vivaient en totale liberté dans la cour de la ferme. Poules et coq picoraient sur le tas de fumier, les canards fouillaient la boue de la mare de leur large bec, les pintades caquetaient à vous assourdir si vous les approchiez, les oies se dandinaient la tête haute, prêtes à pincer l’intrus qui les dérangerait. La liberté était de mise. Les poules pondaient un peu partout, se trouvant de nouveaux nids dans la paille ou dans la haie du jardin et c’était parfois un véritable jeu de piste pour la fermière qui ramassait les œufs. D’ailleurs ces mêmes poules étaient parfois assez malignes pour pondre et couver sans qu’on ne le soupçonne et un beau matin elles arrivaient dans la cour avec une nichée de poussins encore vacillants sur leurs pattes.
Matin et soir, la maîtresse de maison arrivait dans la cour avec son seau de blé. A peine avait-elle lancé son premier cri « Petit, petit ! que déjà toutes les volailles accouraient, avides de picorer les grains jetés à la volée. Lorsqu’elles avaient tout mangé, elles caquetaient de plaisir avant de vaquer à leurs occupations. Les canards avaient droit à une pâtée faite de son mélangé à de l’eau. Quand aux dindons on ajoutait des orties coupées à la même pâtée pour leur « faire monter le rouge » disait-on.
Au printemps, la fermière attendait qu’une poule se mette à glousser d’une façon bien particulière, signe qu’elle voulait couver. En effet l’animal ne quittait le nid que pour venir manger. Alors la femme préparait une quinzaine de beaux œufs qu’elle glissait au chaud sous la poule. Trois semaines plus tard, on entendait les premiers pépiements et lorsqu’on passait délicatement la main sous les plumes on découvrait des œufs pochés par le petit bec du poussin qui peu à peu se délivrait de la coquille qui l’emprisonnait. Dès que le dernier était né, la poule et sa progéniture étaient mis à part dans une petite étable pendant quelques jours avant d’être lâchés dans l’arène de la basse cour. Très vifs, les poussins ne tardaient pas à courir après les moucherons en suivant leur mère qui les rappelait d’un gloussement impératif et dès qu’il fallait dormir ou qu’il faisait frais, la ribambelle de boules jaunes se réfugiait dans le giron de mère poule.
Aujourd’hui les joies de la basse cour n’existent plus puisque les poules, lorsqu’il y en a, sont renfermées dans un enclos, elles doivent pondre mais surtout pas couver car on achète les poulets à demi élevés. Et je ne parle pas des élevages industriels où les volailles enfermées dans des cases ne voient jamais la lumière du jour.

Jeanine Berducat