La Sologne en deuil


Il y a celles qui larmoient face à la baisse du taux du livret A de 0,75% à 0,50% en date du 1er février 2020, il y a ceux qui piaulent en vue d’échéances électorales à venir en s’écharpant pour un fauteuil à coups de bestiasses posts Facebook. Et il y a celles et ceux qui pleurent un être disparu. Ils et elles ont su répondre présents en cette mi-janvier 2020 à Salbris sur le parvis de l’église. La rédaction du Petit Solognot en faisait partie. Paillettes ou pas. Oui car nombreux furent les curieux (et curieuses) à s’installer en terrasse des cafés, derrière la fenêtre d’un logement ou simplement, les deux pieds sur le trottoir salbrisien, téléphone portable en main prêt à shooter, pour apercevoir des stars aux obsèques de Jacques Dessange. Les forces de l’ordre s’y attendaient également. Chacun n’y aura croisé qu’un autre coiffeur, Franck Provost, doté d’un pied-à-terre en Sologne, ou encore des responsables de L’Oréal. Il se murmurait que dans l’audience, se trouvait également le frère de l’ancien footballeur Laurent Blanc ainsi que des mannequins modèles d’antan. Assurément, par contre, ont été vus le maire de Chaon, le pianiste et compositeur Patrick Morin, ainsi que des musiciens amis de Sally Dessange, dernière épouse de Jacques, Pierre Genisson , Jean-Baptiste Aguessy, Guo Gan, et caetera. De toute façon, l’essentiel ne résidait pas dans la liste des participants. Pour les ignares qui pensaient jusqu’ici que le patronyme Dessange n’était qu’une appellation marketing apposée sur des bouteilles de shampooing, il convient de rappeler que derrière ces produits, se cachait bien avant tout un homme. De son vrai prénom Hubert, le coiffeur précité est né en 1925, faisant ses armes professionnelles grâce au salon de son père implanté dans le village de Souesmes, en Sologne. Ne coupant pas les cheveux en quatre, Jacques Dessange montera à la capitale à l’âge de 19 ans et de fil en ciseau, réussira à gravir les sommets des affaires, notamment à cause du fameux “coiffé décoiffé”, libérant les femmes d’obligations de chevelures contraintes par apprêt. En particulier la gent féminine sous le feu des projecteurs de l’époque telles Brigitte Bardot (pour le film “Et Dieu créa la femme” de Roger Vadim), Jeanne Moreau, Sheila, Sylvie Vartan, Jane Fonda, Liz Taylor, Marlene Dietrich, Ava Gardner, pour ne citer qu’elles. Le premier salon filiale Jacques Dessange ouvre en 1955 à Saint-Tropez, place des Remparts; le salon de l’avenue Franklin-Roosevelt à Paris est inauguré en 1956; d’innombrables autres suivront, 1 600 au total dans le monde. En 1984, Dessange devient le partenaire officiel du Festival de Cannes, avant Deauville et Marrakech. Voilà pour le côté star. En janvier 2020, à Salbris, sous une fine et fraîche pluie, seule la sobriété brillait, sans apparat. Ce qu’aura confirmé pendant l’office d’une bonne heure, le diacre Jérôme de Poix en décrivant Jacques Dessange : “simplicité, humilité, amitié. Il a quitté la Sologne pour y revenir et s’y est éteint dans un calme serein. Avec son épouse Sally, il a fait du bien en Sologne pour l’équipe de foot, l’école, etc. loin des projecteurs. Il est là, le grand Jacques.” Impossible d’infirmer, la messe est dite. La journaliste qui écrit ces lignes, à maintes reprises conviée dans la propriété sologne de l’Ardoise entre Salbris et Pierrefitte-sur-Sauldre, ou bien à Chaon pour déjeuner lors des Rencontres musicales de Chaon, peut témoigner de l’humilité et de l’humanité de Jacques Dessange. Il n’hésitait pas à nous valoriser d’un “vous êtes toujours très élégante”, en dépit d’une robe non griffée d’un grand couturier. Ou alors, il nous confiait ses amitiés puis déboires avec “BB”. “Brigitte Bardot a tout d’un coup viré anti-chasse. Nous nous sommes perdus de vue. Elle venait souvent en Sologne chez moi au début. Elle m’avait même offert un chien mais je lui ai vite rendu car il avait peur des coups de fusil à la chasse !,” nous narrait-il souvent; Assumant aussi de condamner parfois, notamment un soir de dîner au domaine Vacanciel de la Ferté-Imbault, où assis à notre gauche à table et conversant avec nous, il aura fustigé la chasse juchée en haut de miradors dans un environnement solognot clôturé. Nous nous souviendrons en sus de cette soirée d’anniversaire à laquelle nous avions participé en Sologne pour les 90 ans de Jacques. Sur l’écran, pour souffler les bougies, le minois d’Ophélie Winter; dans le ciel de l’Ardoise, un feu d’artifice imprimant des étoiles dans nos yeux. Nous n’oublierons jamais notre première rencontre avec Jacques et premier déplacement à l’Ardoise en 2012 pour une interview concernant le lancement du premier festival de musique classique en Sologne, les Rencontres musicales de Chaon, initiées par son épouse Sally et l’édile Patrick Morin. De quoi être impressionné lorsque vous êtes jeune, à la pige, circulant en Citroën Saxo dont vous devez confier les clés au voiturier davantage habitué aux automobiles haut de gamme. Et par le fait, que de souvenirs ! Car aucun jugement, aucun snobisme chez Jacques qui nous accueillait, avec Sally, à chaque fois, humblement, les bras ouverts. Jacques Dessange n’opérait aucune distinction de classe, n’oubliant pas ses racines rurales en dépit de sa réussite. “La richesse de l’homme est dans son coeur. C’est dans son cœur qu’il est le roi du monde.” (Jean Giono).

Émilie Rencien