Le syndrome de Robinson Crusoé


Retour de plage. Retour de sable. Retour de montagne ou de campagne, cette fin d’été est à l’image des mois précédents, marquée par la pandémie et les indications ou les contre-indications de nos édiles, nos élites, pas plus au fait que le moindre quidam. Drôle de zigoto que ce virus …
Drôle de phénomène oui, que la Covid 19. Elle a fortement perturbé l’économie nationale et internationale. Elle a mis, pour un temps, des fonctionnaires au même rang que des salariés du privé. Elle a creusé une dette nationale fictive qui n’existe que dans la tête des économistes et des spéculateurs qui vont avoir beau jeu de demander son remboursement. On notera, par exemple, parmi les dommages collatéraux hautement significatifs pour les smicards, les chômeurs actuels et ceux à venir, que Wall Street enregistre des indices records et la sortie du Top 5 des personnes les plus riches du monde de Bernard Arnault. Une larme, une fleur, un geste, une BA, toute marque d’affection sera la bienvenue en ces moments difficiles pour lui et ses coreligionnaires … Elle a fait redécouvrir les charmes de l’hexagone durant la période estivale. Elle a aussi permis de redorer le blason de Daniel Defoe à travers un confinement qui a laissé des traces !
Dans ce monde aux multiples îles désertes, les amis sont devenus virtuels. Sans famille, comme le Rémy d’Hector Malot, on préfère Capi, Zerbino et Dolce, plutôt que Vitalis, leur maître. On s’habille sur Vinted. On se nourrit par livraison et on s’instruit par écrans interposés. Tout est parfaitement prêt pour chopper le syndrome de Robinson Crusoé. Il suffit de trouver son ou sa Vendredi et le tour de l’île est joué. Pour de quelconques rapports sociaux, rien n’est à changer. Les réseaux du même nom sont tellement omniprésents. À la différence des estaminets où les brèves de comptoir s’effaçaient en même temps que les effluves d’alcool chez les poivrots, l’univers impitoyable des internets laissent des traces indélébiles. Différence notable, si on connaissait les soiffards du coin et les mauvaises langues du lavoir, on ne connaissait pas tous les ignares, les incultes et les malades de la galaxie. Dans cet univers d’écrans, on prend la foule pour le peuple et la terre est plate. Là, la bêtise crasse, les thèses complotistes, le nouvel ordre moral tellement apparenté à celui des années quarante du siècle dernier qu’il en devient puant, ont pignon sur rue. La démocratie est mise à l’encan par toutes les formes de racialisation sous couvert d’anti-racisme. Ici, la laïcité est vouée aux gémonies par les partisans de la liberté de culte, oubliant par là-même la liberté de ne pas croire. Donald Trump y est capitaine d’industrie efficace et président des États Unis. Poutine, Erdogan, Loukachenko, Orban ou Xi Jinping sont les nouveaux guides de la planète Terre. Spécialistes de l’infectiologie, de la psychiatrie, de toutes le maladies, de toutes les connaissances, pullulent sur les claviers. Et si l’on s’offusque d’être obligé de porter un masque, on ne dit pas grand-chose quand un arrêté interdit de porter le maillot du PSG sur le Vieux port de Marseille pour raison de sécurité. Dès lors pourquoi ne pas interdire les jupes pour prévenir des viols ? Tribunaux populaires et conneries des piliers de bistrots non alcoolisés suffisent largement pour garder contact avec l’extérieur.
Si l’on en croit les pseudos ou les avatars de tous ces fondus-ues du clavier et du téléphone portable, nul besoin d’être grand clerc pour s’apercevoir qu’hommes et femmes se partagent la palme. La femme n’est plus l’avenir de l’homme comme l’espérait Aragon, elle est largement son égal. Malheureusement dans la crétinerie aussi. On le savait depuis des lustres, mais si l’on avait encore besoin de confirmation …
La Covid a cependant eu aussi un effet positif. Nous avons gagné, ou pas perdu, presque un mois sur le « jour du dépassement ». Ce jour de l’année où l’on a fini de consommer ce que potentiellement la Terre peut produire. Les maîtres du « ça peut toujours servir » ont été sacrément efficaces durant le confinement. Peut-être qu’un peu de consommation autrement, de temps à autre, ne nous ferait pas de mal.