Les moulins attendent que la roue tourne


“Il faut sauver les moulins !”. À l’heure du développement durable et de l’énergie alternative prônés à corps et à cris, des voix montent au créneau et s’indignent.

La continuité écologique a peut-être parfois bon dos pour faire avaler la couleuvre. Alors, ostracisme à l’égard des moulins ? Des propriétaires, solognots en particulier, et des pêcheurs, qui ont souhaité rester anonymes, nous ont interpellé sur la question. Et pour ces derniers, leurs moulins, figures du patrimoine et paysage rural, pèsent plus qu’un « Iota ». Comprenez « Installations, Ouvrages, Travaux et Activités ». C’est le nom de baptême d’un décret de modification de la nomenclature en rivière. Il possède en particulier un article 3.3. 50 qui énonce et prévoit que la destruction des seuils pourra être décidée par simple déclaration. Ceci inquiète et fait bondir les propriétaires qui affirment haut et fort que 25 000 moulins pourraient produire de l’électricité propre pour un million de foyers en France. Utopie ? « Non, répondent ces derniers concernés. « Car la demande d’électricité est croissante avec, entre autres, la promotion des voitures électriques. De plus, cela contrecarre la règlementation européenne et va à l’encontre de la directive de décembre 2018 souhaitant inciter les propriétaires des moulins à produire eux-mêmes de l’électricité. Il est donc grand temps de mettre fin à ces destructions programmées des seuils et des moulins, et de se consacrer enfin à la lutte contre la pollution des rivières !».

Long fleuve agité
Ceci étant énoncé, les accusations sont à prendre avec tempérance. Les moulins à vent seraient-ils mieux traités ? Exemple récent du moulin de Juffet, vieux de 500 ans, situé sur la commune de Montbazin à l’ouest de Montpellier, qui va pouvoir retrouver ses ailes grâce au super Loto du patrimoine du mois de juillet 2019, de Stéphane Bern, le monsieur patrimoine d’Emmanuel Macron. Plus proche de nous, cet été encore, dans le Cher, le moulin de Chalivoy-la-Noix, à Ourouer-les-Bourdelins vient de retrouver un toit. On se souviendra de surcroît du moulin renaissant en 2017 à Villeherviers, près de Romorantin, dans le Loir-et-Cher, grâce à un partenariat entre la société de Moulin Neuf, Orange Centre-Val de Loire et la start-up Origo, engagées à produire davantage d’énergie renouvelable et hydraulique, en s’appuyant sur la production locale. Et puis, aussi, les avis divergent. Notamment côté écolos. « Il ne s’agit en effet pas de détruire» argumente Charles Fournier, troisième vice-président de la région Centre-Val de Loire (Europe Écologie Les verts). « Mais barrages, moulins… C’est la multiplication qui impacte durablement un éco-système et menace la biodiversité aquatique.» Au final, ce sujet, c’est un peu comme pour le glyphosate, les éoliennes et les centrales nucléaires, ou encore le réchauffement climatique. En une époque de fake news, rien n’est jamais aussi manichéen qu’il n’y paraît et souvent, chacun défend son pré carré pour apporter de l’eau à son moulin… La question mérite tout cas d’être posée. En 2016 déjà, Valérie Lacroute, ex-maire de Nemours et députée LR de la deuxième circonscription de Seine-et-Marne, interrogeait en février lors des questions orales au Gouvernement, la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, sur l’avenir des 20 000 moulins à eau menacés de disparition. Elle s’était ainsi exprimée : « la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 entend assurer la « continuité écologique » des cours d’eau pour permettre la circulation des espèces animales et le bon déroulement du transport des sédiments. Or, c’est précisément au nom de cette « continuité écologique » que 20 000 moulins à eau pourraient être détruits en France, dont 1 200 pour la seule région Ile-de-France. En effet, les propriétaires sont confrontés à un dilemme imposé par la loi : soit, ils détruisent sur fonds publics leurs moulins, considérés comme des obstacles transversaux rompant cette continuité; soit, ils se voient obligés de s’équiper en dispositifs de franchissement à des coûts exorbitants (passes à poissons ou rivière de contournement)(…). Au moment où la société est prête à remettre en cause ses schémas de production et de consommation, ils offrent aussi des perspectives très prometteuses en matière d’énergie alternative propre et d’agriculture durable. » Le 2 avril 2019, François de Rugy, encore ministre LREM, haranguait lui plutôt un « oui, à l’hydroélectricité de barrage » et un « non à la petite hydroélectricité où l’on bloque les rivières et où on empêche les pêcheurs de pêcher. » Dans le Loir-et-Cher, cet été, le député LR Guillaume Peltier (via missive au ministre de Rugy le 31 mai 2019) et le sénateur UC Jean-Paul Prince (avec question écrite au Journal Officiel du Sénat du 11/07/2019) ont à leur tour (re)lancé le débat dans l’hémicyle parlementaire…

Émilie Rencien

Le cas de Venet
L’association Hier en Pays de Bazelle a organisé une visite du moulin de Venet, près de Bagneux, à quelques kilomètres de Chabris. Son propriétaire, Jean Favereau, s’est battu pour que l’eau revienne sur son site, à contre-courant de la Justice. Ce sont quinze années de procédures, de 2000 à 2015, que Jean Favereau a subies pour que l’eau revienne dans le chenal d’amenée qu’il a restauré durant deux ans sur 720 mètres. Ce travail de titan, malgré le soutien du syndicat de rivière du Fouzon, de la mairie, du voisinage et de Jacques Reeb géomètre à Chabris et à Issoudun, n’a pas fait plier la police de l’eau, prétextant des problèmes a priori quant au passage de poissons ou au débit. En 2010, le préfet de l’Indre refuse la remise en état du seuil de dérivation qui a pour fonction de dévier l’eau de la rivière vers le moulin par le chenal. En 2012, le tribunal administratif donne raison au propriétaire en condamnant l’État à verser 1 500 €. Suite à l’appel du ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, la cour administrative d’appel de Bordeaux annule, en 2014, la condamnation de l’État. Depuis 2015, le pourvoi n’est pas admis. Se peut-il qu’un jour la roue tourne ? “Il se peut, au contraire, qu’un jour aucun moulin ne soit autorisé à détourner, malgré le fait qu’il y renvoie après usage, l’eau du cours d’une rivière”, a avancé Jean-Luc Stiver de l’association Hier en Pays de Bazelle. “À vouloir préserver l’environnement à son paroxysme, on en meurtrit parfois le patrimoine”. C’est donc un moulin sans eau que les amateurs de sites du patrimoine ont visité via la programmation présentée en ligne et sur flyer dans les offices de tourisme. L’acte le plus ancien répertoriant le moulin date du XIIIème siècle. Jean Favereau le tient de son oncle, Jean Bouloc, qu’il l’a acheté dans les premières années du XXe siècle. Il fournissait farines noires et céréales aux fermiers des alentours pour le bétail. L’arrivée de l’électricité, en 1946, a fait que l’eau n’était plus nécessaire pour que la meule tourne.
Fabien Tellier
Le site demeure visitable toute l’année par le biais de l’association Hier en Pays de Bazelle. Tél : 06 10 74 18 66.