Portrait : Isabelle Fournier Rivière


L’an dernier lors du centenaire du livre Le Grand Meaulnes, on a peu parlé de la soeur d’Alain-Fournier, Isabelle. L’oeuvre d’Alain-fournier doit pourtant une partie de sa renommée au travail important qui a été mené par cette dernière. C’est pourquoi nous avons décidé de vous raconter (dans ce numéro et dans les six prochains numéros) l’histoire de cette femme qui a consacré une grande partie de son existence à la sauvegarde de la mémoire de son frère et de son mari Jacques Rivière.
Isabelle,
vingt ans de bonheur puis cinquante ans de souvenirs
Pour raconter la vie d’Isabelle, il faut d’abord évoquer Le Grand Meaulnes, roman qui lui est dédié et dont le succès ne faiblit pas, cent ans après sa naissance. Aujourd’hui, on visite le musée-école d’Epineuil-le-Fleuriel comme on va en pèlerinage.  « La longue maison rouge, avec cinq portes vitrées, sous des vignes vierges » est toujours là, « à l’extrémité du bourg1 ». On retrouve ici les lieux tels que Fournier les a vus dans son enfance. Et, en plus, voici une photo de classe : trois rangées d’enfants, les premiers assis, les seconds debout, les troisièmes debout aussi mais sur un banc. Nous sommes en 1896 et ce groupe d’écoliers est dans la classe de monsieur Fournier, directeur de l’école, père de l’auteur du Grand Meaulnes. Les enfants ont sans doute été prévenus d’avance ; plusieurs d’entre eux sont endimanchés, d’autres portent la blouse grise, uniforme obligatoire des jours ordinaires mais ils sont tirés à quatre épingles ; pour la même raison, les sabots ne sont pas nombreux ; on aperçoit surtout des bottines et des galoches. C’est une école de garçons ; ils sont une vingtaine, figés, cheveux presque ras, regard solennel et bras croisés, ici on ne plaisante pas avec la discipline. Un groupe ordonné avec, cependant, une anomalie. Il comprend : dix-neuf garçons et… une fille ! Elégante dans une robe qui descend jusqu’au chevilles, mains délicatement posées sur les genoux, longue chevelure ondulant autour du visage, sourire espiègle en direction du photographe, pas du tout intimidée parmi tous ces garçons… âgée de sept ans seulement mais déjà féminine et, semble-t-il, sans complexes. Isabelle Fournier est la fille du maître d’école et la sœur d’Henri1, dix ans, présent lui aussi sur la photo.
Unique fille dans une école de garçons, statut qu’elle doit à la profession de ses parents et à un problème de santé dont nous reparlerons, Isabelle est née en 1889 à la Chapelle-d’Angillon, bourg mi-berrichon, mi solognot. Elle entre dans la vie à l’orée de la Belle Epoque. C’est en 1892, que Monsieur Fournier, a été nommé directeur de l’école de garçons d’Epineuil ; un an plus tard madame Fournier est devenue l’adjointe de son mari pour enseigner dans la classe des petits. Les enfants du maître ne sont pas privilégiés, bien au contraire, ils doivent toujours donner l’exemple. Mais vivre dans l’école, y tisser son cocon, n’est-ce pas la situation la plus souhaitable pour un enfant ? Ici, Henri et Isabelle, qui sont très proches, partagent leurs jeux calmes et, surtout, leurs lectures, dès que les autres élèves ont quitté la maison. Les livres ne manquent pas. Le jeudi, c’est congé. Alors, par beau temps, le père Fournier emmène ses deux enfants à la pêche ou à la baignade dans le Cher ; à l’automne, il organise des promenades à la recherche des champignons. En hiver, c’est plus gris mais aussi plus intime, lorsque la nuit tombe, bien avant l’heure du repas.
Alors, Augustin Fournier, le père, transporte « le feu du poêle de la classe dans la cheminée de la salle à manger » puis il accroche « les volets de bois aux portes vitrées1 ». Dans la cuisine, sombre et glaciale au pied de l’escalier, Albanie, la maman, prépare la soupe, éclairée par une bougie et la lueur du potager3. Les deux enfants, blottis l’un contre l’autre, observent « le doux visage maternel penché sur le repas du soir » puis suivent les parents dans la salle à manger, éclairée par la lampe « autour de laquelle nous étions une famille heureuse1 », précisera plus tard Alain-Fournier. La soirée se termine assez tôt car le lendemain matin la classe commence à 8 heures. La toilette est sommaire, avec une cuvette et un broc d’eau tirée au puits, légèrement tiédie sur la cuisinière. Malgré les livres et les rêves, les enfants d’instituteurs partagent matériellement la vie des paysans du voisinage, modeste, rugueuse mais paisible. C’est la Belle Epoque, éloignée de l’euphorie parisienne, vue d’un village du Bas-Berry.
(A suivre).
Bernard Epailly
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1 Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes, Emile-Paul, 1913. 2 Henri Alban Fournier est plus connu sous le quasi-pseudonyme d’Alain-Fournier. 3 Sorte de cuisinière qui permet de chauffer les plats.