Trois défilés, trois ambiances


C’était samedi en Grande-Bretagne et y avait du monde dans le bourg. C’était samedi, à Paris, et ils étaient moins de mille. C’était lundi, à Paris et y avait pas un chat, ou presque. Pour le premier on avait convié la populace à la fête même ceux qui n’étaient pas contents. Pour le second, on était entre soi, entre sang pur, et évidemment ça limite. Pour le troisième, les badauds étaient filtrés en amont, même ceux qui étaient contents. Plusieurs défilés, plusieurs ambiances, pareil que dans une boîte de nuit où l’ambiance années 1980 fait le pendant avec celle des années 2020.
Dans l’arrière salle de l’Ancient Mariner, en haut de Lime Street, tandis que, à la télé, le nouveau roi, Charles III, et la reine Camilla descendent le mall au cœur de Londres, les habitués du pub plongent, de temps à autre, le nez dans leur bière. De la cérémonie, ils n’en ont pas manqué une miette. Ce n’est pas pour autant qu’ils soient royalistes, ou contre la monarchie non plus. Sur cette affaire là, ils seraient plutôt « je-m’en-foutisme » . Le défilé en grandes pompes n’est d’ailleurs pas leur principal sujet de préoccupation. Ici, entre deux pintes, on cause plus de l’inflation et du gouvernement de Rishi Sunak, jumeau économique d’Emmanuel Macron, incapable de réduire les effets négatifs du Brexit que de Charles, de sa couronne inestimable en équilibre instable sur sa tête royale, de la robe de Camilla ou du sourire coincé du Duc de Sussex, Harry.
Le choc des images… Sur le bord de la grande avenue qui mène à Buckingham Palace, ils sont des milliers, une couronne en carton pour couvre-chef, à applaudir, à secouer dans tous les sens des Union Jack en papier, au passage du carrosse et de la troupe. Le long des Champs-Élysées, ils ne sont que quelques dizaines derrière les barrières. Pas de drapeaux tricolores au vent, pas de tentes installées depuis plusieurs jours, seulement une poignée de portables pour photographier de loin, de trop loin pour qu’il n’y ait pas un flou de bouger. Pas de rumeur, pas de clameur non plus. Sous l’Arc de Triomphe, le soldat inconnu est comme le dormeur du Val, il ne sera pas troublé cette année. Le pas cadencé et les claquements de bottes, c’était voilà 83 ans … En tendant l’oreille, il aurait pu cependant entendre, l’avant-veille, des bruits et des vociférations, dans un arrondissement voisin. En rangs serrés, le « Comité du 9 mai » avait le droit de se pavaner dans les rues de la capitale. Des néo-Nazis qui défilent en toute quiétude ce n’est pas comme si, deux jours plus tard, on commémorait la signature de la capitulation du 3e Reich. Bien ordonnés derrière leurs drapeaux noirs à croix celtique, les ex du GUD, les jeunes représentants du nouvel ordre nouveau de l’extrême droite radicale, ont pu exprimer en toute légalité leurs idées nauséabondes. Confrontés à des choix, tous les préfets n’ont pas vocation à penser comme Jean Moulin.
Au comptoir du Chiquito, le bar-tabac du coin, Raymond ne perd pas une miette du défilé parisien du début de week-end. Raymond pourrait s’appeler Étienne ou Marcel, même les deux à la fois. Il attaque un énième pastaga. A 1 volume d’alcool pour 3 volumes d’eau, la côte d’alerte est atteinte depuis un moment déjà. Des gars tout de noir vêtus, drapeaux au vent, ça lui cause au Raymond. L’ordre, c’était mieux avant. La peine de mort aussi. D’ailleurs tous ceux qui ne pensent pas comme Raymond sont coupables. Ce sont tous des vendus qu’ils soient politiques, journalistes, fonctionnaires, pas fonctionnaires, ceux qui ne bossent pas et prennent en otage ceux qui bossent, autant que ceux qui bossent et prennent en otages ceux qui ne bossent pas. Raymond s’en tamponne le coquillard du 8 mai sauf que c’est férié, Raymond l’arrose à l’avance. Alors, le 7, le 8 ou le 9, c’est kif-kif bourricot … Du roi d’Angleterre, d’Emmanuel Macron ou de la réforme des retraites, il n’en a que faire. Ce n’est pas lui qui va jouer au tambour du Bronx sur le bord d’un trottoir.
Trois défilés, trois ambiances. Deux bistrots, deux ambiances. Si l’alcool n’excuse pas tout, il explique un petit peu.

Fabrice Simoes