Un jour de Juillet


Sur le bord de la route, la famille est rassemblée. Levée à l’aube pour le jour J et le déplacement de l’année. La glacière ? Check ! Les sandwiches ? Check ! Mamie et son fauteuil pliant ? Check ! Le biberon, et tout le matériel du petit Dylan dont on espère qu’il fera mieux que Bob ? Check ! Dylan, Check ! Aujourd’hui c’est l’étape du Tour de France et il ne faut en aucun cas manquer ça…
Sur le bord de la route, la famille est en place. Elle est sur site depuis des heures déjà. Arriver à temps pour trouver le bon endroit le long du parcours est une opération délicate. Faire le bon choix de l’emplacement, c’est un art qui vaut largement les sept ou huit autres réunis. C’est celui qui permettra à Kevin de sortir son déguisement de martien avec des grandes antennes et de brandir son panneau « Allez Alain Philippe ». C’est celui où Meghan pourra capter le bon réseau pour tenter de survivre à cette expérience traumatisante, et échanger les selfies grimaçants avec ses copines. C’est celui où mamie ne prendra pas un coup de soleil intempestif, manquerait plus qu’elle fasse un malaise. C’est celui où la densité de gens qu’on ne connaît pas est la moins importante et où les cris de leur Kevin à eux ne viendront pas monter sur les plate-bandes du sien, où leur Méghan ne viendra pas polluer le réseau de la sienne, où leur mamie ne viendra pas squatter la zone d’ombre de la sienne. C’est surtout l’endroit où l’on va recevoir potentiellement le plus de cadeaux, plein de cadeaux, énormément de cadeaux. Si on peut faire mieux que la demie-douzaine de sacs à provision d’une marque automobile, les tee-shirts à pois et les bobs qui vont avec – on est six, il nous en faut six minimum- ou les trois kilos de bonbons, goodies, gadgets et autres pour remplir le vide-poche dans le couloir d’entrée de la maison… Prêt, partez ! La caravane passe, les chiens aboient, les enfants et les parents aussi. C’est beau. C’est chouette. C’est inutile et tellement nécessaire. C’est fabriqué en Chine ou en Turquie. C‘est surtout gratuit.
Sur le bord de la route, maintenant que la caravane est passée, on attend le peloton. On suppute sur le remaniement ministériel. Ca fait un sujet de conversation même si, on en est certain, ça ne changera rien. Pendant ce temps, on ne dit pas de mal de son voisin, enfin pas trop. En haut du col de la loose, quelques serviteurs de l’État viennent de sauter sur une mine présidentielle. Pas Élisabeth Borne, fatiguée mais pas encore au stade de la placardisation dorée. La petite mère du peuple des travailleurs mérite des égards. Ce serait dommage de la mettre en retraite alors qu’elle n’en a pas l’âge. Pas Gérard Darmanin, trop précieux dans la défense des automobilistes. Supprimer, en 2024, du pare-brise, la vignette assurance, voilà qui change la vie. L’économie sera pour les compagnies d’assurances. Sans impression papier, plus rien à envoyer… Pas Bruno Le Maire, trop fort en bilan énergétique et en camouflage. Augmenter, en douce, le tarif de l’électricité, dès le mois prochain, en dehors de toute promesse précédente, c’est bon pour la carrière. Pour Jacques Chirac, les promesses n’engageaient que ceux qui les écoutaient. Note pour la suite : toujours retenir les leçons des spécialistes qu’ils soient ou non plus pointus en croupe de vache qu’en course cycliste.
En haut du col de la Loze, le maillot jaune, Vingegaard vient de faire sauter les verrous pour entrer au Panthéon du tour de France. Le camion-balai est passé devant la famille réunie qui plie bagages, le fauteuil de mamie, la couverture de pique-nique et Dylan avec, le téléphone portable de Méghan et Méghan avec… Le tour est passé. C’était le jour de Juillet qu’il ne fallait pas rater. Bientôt la famille va passer aux choses sérieuses. Comme c’est l’été, elle va rejoindre, dans quelques jours, le flot des nouveaux vacanciers. Heureux de créer les leurs de bouchons sur l’autoroute du Sud, de l’Ouest aussi pour ne pas faire de jaloux. Bientôt, dans quelques jours on vous dit, la terre va s’arrêter de tourner, le soleil continuera de briller, le sable sera chaud et la forêt va pouvoir cramer tranquille. Comme d’hab, ce sera le mois d’août.
Alors bonnes vacances, et n’oubliez pas, on se retrouve à la rentrée !

Fabrice Simoes