Une femme de l’air qui reprend pied sur terre


RENCONTRE Martine Marage fait partie de ces femmes pionnières. Elle a été l’une des premières femmes à intégrer l’équipage du Concorde en 1976.

Marie du Berry

C’est en marchant tous les jours le long du canal de la Sauldre que j’ai eu la chance de rencontrer une femme pionnière, une des premières hôtesses de l’air à avoir volé sur le Concorde. Nous cheminons chaque matin, lorsqu’elle rejoint aux beaux jours, sa maison de famille à Blancafort : « Je suis passée de 2200 km à l’heure à 6 km à l’heure » dit en riant Martine Marage qui a consacré trente-cinq ans de sa vie à Air France. Cet entraînement quotidien nous a rapprochées l’une de l’autre, le canal, cette courte de voie d’eau de 47 km qui traverse la Sologne, né au pays des marnières, reçoit nos confidences. En effet, quand on pousse l’investigation plus loin auprès de cette « Grande Dame », en taille, en personnalité et au caractère trempé, à la fois discrète et pleine d’humilité, on se rend compte qu’elle ne s’est pas contentée de lier son destin au grand oiseau blanc qui fut une des grandes passions de sa vie.

Il y a 42 ans, le Concorde, le seul avion supersonique à transporter des passagers décollait… avec Martine… Si elle a été l’une des premières femmes à intégrer l’équipage du Concorde en 1976 pour participer aux vols d’endurance afin d’obtenir son homologation sur le plan commercial, si elle a fait partie des premiers vols Paris-les Açores-Caracas et du premier vol Paris Washington en mai 76, elle ne s’est pas plus avant contentée de jouer les mannequins en portant l’uniforme Balenciaga, ni de faire des défilés chez Louis Feraud, car en 1998, elle a fait partie de ces femmes qui ont ouvert une voie dans le monde des hommes, en devenant, chef de division du PNC d’Air France (personnel navigant commercial) pour l’Asie, responsabilité d’encadrement enrichissante : 28 instructeurs, 5 responsables de secteur, 500 CCP et chefs de cabine et 1740 stewards et hôtesses dont des hôtesses japonaises pour assurer la voie Paris Pékin (10 heures de vol). J’ouvre grands les yeux, je mesure tout ce qu’il faut de ténacité, de volonté, d’exigence pour arriver à être l’un des principaux responsables du réseau mondial d’Air France, (Amériques- Caraïbes-Asie-Afrique, France-Europe), des questions me brûlent les lèvres. Là-haut dans le ciel, des trainées blanchâtres dessinent des arabesques, d’autres femmes et hommes vivent à 10 000 mètres d’altitude comme autrefois, Martine…

Pour vivre à dix mille mètres d’altitude, encadrer et diriger des équipes, quelles étaient les principales qualités requises ?

« Avant toute chose, il fallait s’entretenir physiquement, faire du sport pour rechercher un équilibre physique et mental, il fallait tout mettre en œuvre pour atteindre les objectifs d’Air France et être en même temps très à l’écoute d’une clientèle internationale, faire confiance aux équipes, avoir une grande facilité d’adaptation, combien de fois je ne connaissais pas les équipes PNC – PNT Pilotes mais c’est la force d’un équipage… »

Mais comment une jeune femme, mère et épouse, peut-elle se consacrer totalement à une profession où elle encadre, forme, vole et s’absente trois à sept jours d’affilée sans retrouver les siens ? Elle me répond très vite : « optimiser l’organisation pour la rendre fiable et « parfaite »…

Comment faire pour ne jamais être en retard quand on a un enfant malade le matin ? « Quand mes filles sont nées, en concertation avec mon mari, j’ai engagé une personne de qualité à qui j’ai confié mes enfants car votre lieu de travail n’est pas un bureau immobile, il ne peut pas vous attendre si vous êtes en retard, il aura décollé sans vous… Quand j’étais en vol, je n’appelais jamais mes enfants et mon mari, et ma famille faisait de même. Tout était compartimenté, j’étais une femme avec un fonctionnement en mode « tiroirs, quand je fermais la porte de chez moi, j’étais déjà dans l’autre monde, celui de mon métier où je me donnais complètement à l’entreprise et me consacrais totalement aux passagers et aux équipes… C’était cela ma liberté et mon plaisir ! »

Vos meilleurs souvenirs ?

« Le premier décollage du Concorde en 1976, moment fort, très fort, l’oiseau blanc avec sa puissance extraordinaire. L’accouchement en vol d’un bébé philippin entre Téhéran et Manille qu’on a appelé Francis et un dîner de Noël chez Mobutu, au milieu de la forêt tropicale, un 25 décembre qu’il avait voulu fêter dans son village natal, Gbadolite au milieu des chants grégoriens, avec de la vaisselle de Limoges et des verres en cristal, inouï ! »

Et les plus difficiles ?

«  L’accident du Concorde à Gonesse en 2000, j’ai participé à la cellule de crise, Air France sait faire, met en place très rapidement des cellules d’accompagnement de très grande qualité et puis il y eu les obsèques de l’équipage, ce fut tragique, je me souviens d’une amie, une hôtesse allemande, son enterrement en Allemagne et aussi l’immense tristesse à la Madeleine en mémoire des 113 passagers en présence du président d’Air France, Jean-Cyril Spinetta… »

Et si vous deviez résumer votre carrière ?

« Rien ne me faisait peur, tout était possible ! On a même rapatrié des Français et des Belges en pleine guerre du Golfe. Air France est une magnifique entreprise. Aller jusqu’au bout de vos rêves. Follow your dreams ! »

Pourquoi revenir ici en Berry après avoir parcouru le monde ?

« Je reviens dans le pays de ma famille et de mes vacances, j’ai un profond attachement pour la maison familiale qui a été transmise de génération en génération, tout me rappelle les émotions de ceux qui l’ont habitée, leur affection et puis le charme de ce pays bocager, la Sologne proche, les arbres immenses qui bordent ce canal… Après avoir vécu à 10 000 mètres d’altitude, j‘ai besoin de m’ancrer dans un terroir, d’avoir les deux pieds dans la terre, ce pays m’apaise et je suis tellement amoureuse de la littérature berrichonne, des vieilles pierres. C’est pourquoi je vous suis, ma chère Marie, dans vos balades littéraires et vous soutiens pleinement pour Loroy »…

Loroy, le Domaine mystérieux et son Grand Meaulnes ? « Alain-Fournier m’a toujours transportée dans le rêve. Ce pourrait être un lieu de ressourcement, j’habite le reste de l’année à Paris, et j’y respire de plus en plus difficilement, ce lieu à la fois magique et plein de mystère au milieu de la forêt, pourrait devenir pour les petits Parisiens et les autres d’ailleurs, un beau royaume, un lieu vrai, un lieu de fête où l’on se déconnecte… »

Qui les désintoxiquerait et les ferait revivre ? « Oui, croisons les doigts pour que cela se fasse très vite mais vous avez bon espoir, n’est-ce pas Marie ? »