Vendôme, Vuitton : très chère ruralité


C’était l’évènement le 22 février : deux ateliers du groupe LVMH à Vendôme et Azé ont été inaugurés. Il s’en passe définitivement des choses en Loir-et-Cher. Et avec l’arrivée de la marque Louis Vuitton, cette terre chantée par Michel Delpech ne marche plus vraiment dans la boue, mais baigne dorénavant dans un environnement luxueux.
L’ancien président du Conseil départemental, Nicolas Perruchot, dont plus personne n’a de nouvelles, avait peut-être finalement visé juste malgré les moqueries en son temps de gouvernance du 41, en 2019 : son slogan « rural, chic, connecté» résonne différemment ce mois de février 2022. Le Loir-et-Cher est toujours rural et devient chic (connecté, pas encore, au regard des difficultés de réseau mobile, de fibre, de 5G vantée alors que c’est la croix et la bannière souvent pour capter ne serait-ce que la 3G…) du fait de l’implantation de deux ateliers de confection des fameux sacs griffés Louis Vuitton dans le Vendômois. L’un à Azé, «l’Oratoire », dans un parc technologique sur la route du Mans. L’autre, « l’Abbaye », dans le centre-ville de Vendôme, sis dans le quartier Rochambeau et surtout dans les murs d’un bâtiment historique dit Régence acquis et rénové. « Nous sommes à Vendôme qui n’est pas à Paris, » a commenté avec humour, en français, sur place mardi 22 février, Michael Burke, Président-Directeur Général de Louis Vuitton, rappelant l’historique de la marque créée par «un homme de condition modeste, originaire du Jura, qui a appris à manier les outils et qui a ouvert en 1854 son premier atelier à deux pas de la place Vendôme… à Paris !».
C’est effectivement en ruralité, en Centre-Val de Loire, que le groupe LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy) a eu l’opportunité d’ouvrir deux nouveaux sites pour fabriquer des contenants à main prestigieux, commercialisés en boutiques dans l’Hexagone et dans le monde entier à un prix de 4, voire 5 chiffres. A Vendôme, 10 à 15 M€ ont été investis par la maison de couture Vuitton au total; 6 000 tonnes de gravats ont été évacuées, un escalier en hélice, véritable oeuvre d’art, y a été créé; le chantier, confié à des entreprises locales, a été mené en collaboration avec l’Architecte des bâtiments de France; des vestiges d’une cuisine romane sont même encore visibles en montant certaines marches à l’intérieur qui se dévoilent sous les pieds des visiteurs grâce à une partie vitrée, etc. Les deux réalisations impressionnent, il faut bien le reconnaître, font rêver, quasiment autant que la fabrication des divers sacs de la marque qui nécessitent de “petites mains” pour coudre les boutons, peindre minutieusement la rainure, retourner … les peaux.

PETA, crocodiles, ministre, emplois
Des bagages à main de luxe réalisés dans du cuir qui n’est pas celui d’un lapin de deux semaines… Derrière le focus économique de cette installation génératrice d’emplois bienvenus pour ce territoire rural, plus les sourires non feints et non forcés de salarié(e)s réellement fiers de travailler dans une telle entreprise de renom, l’inauguration ne fut pas au goût de tout le monde. Pendant la visite à Vendôme le 22 février en compagnie entre autres conviés du maire de la ville, Laurent Brillard, du député Pascal Brindeau, de la vice-présidente du Département, Catherine Lhéritier, et du ministre de l’économie, Bruno Le Maire, il a en effet souvent été question de crocodiles et alligators (autruches, lézards et pythons un peu aussi). Les espèces ne sont évidemment pas locales (tanneries en Asie du Sud-Est, États-Unis, etc.) et ne viennent pas non plus du parc animalier du Loir-et-Cher, le zoo de Beauval. Blague à part, le célèbre Bernard Arnault, Président Directeur Général de LVMH, a déployé des arguments attendus pour contrecarrer et rassurer. «Cent pour cent des fermes sont auditées et certifiées respectueuses du bien-être animal,» a-t-il précisé. Hormis une toute nouvelle collection de baskets “Charlie” à base de maïs et matières biosourcées, l’enseigne Vuitton ne paraît pas prête à sortir une gamme de sacs “sans”. PETA France a donc fustigé : “Louis Vuitton nage très clairement à contre-courant. La marque s’obstine à faire massacrer des crocodiles, alligators et autres animaux sensibles alors que la plupart des grandes maisons de mode aujourd’hui se tournent décidément vers des alternatives éthiques et écologiques, comprenant bien que les cadavres d’animaux n’ont plus rien de « luxueux ».” En causant de reptiles, le ministre Le Maire, qui a pour sa part déclaré qu’il avait pu apprendre la différence entre croco et alligator le 22 février, a répété à deux reprises qu’il ne pouvait s’offrir de tels sacs. Certains esprits n’auront pas cru à cette larme de crocodile… En tout cas, cet accueil d’activité de maroquinerie d’importance s’avère « une chance » selon le député Brindeau (Udi) pour le Vendômois qui a réalisé un bond de kangourou en termes de taux d’emploi et de chômage (5,9 % à Vendôme) grâce à LVMH, en lien avec Pôle Emploi. Le préfet de Loir-et-Cher, François Pesneau, s’en est lui-même félicité, alors que l’offre et la demande ont toujours beaucoup de mal à se croiser en fonction des secteurs d’activité, et davantage sous l’effet Covid. “Cela fait plaisir de voir des gens heureux à leurs postes. La preuve que le recrutement peut marcher, si on travaille notamment sur l’attractivité. Il arrive que des candidats envoient des CV qui n’accusent pas de réponse, même négative ! J’ai sensibilisé les entreprises sur cette nécessaire attractivité; la Chambre de commerce et d’industrie 41 prévoit une manifestation consacrée en juin. Toutes les entreprises n’offrent pas les mêmes avantages que Vuitton, c’est certain, et l’État doit travailler sur l’écart entre travail et RSA, mais avoir un emploi ouvre un avenir et une vie sociale, des projets et des perspectives d’évolution.” Et de s’accorder un beau sac ?
Émilie Rencien