« 1984 », on y est

Après une année 2020 très covidienne, nous mettons beaucoup d’espoir dans la décennie qui s’annonce. Tous nos capteurs sont tournés vers les données chiffrées annoncées à tour de bras et les « experts » scientifiques nous font craindre le pire. Malgré le vaccin, la crise sanitaire est toujours là et nous ne sommes pas encore sortis d’affaire, aiment à le rappeler les politiques et scientifiques de tous poils. D’autant que pour nous remonter le moral, Michael Ryan, le responsable de l’OMS en charge des situations d’urgence, n’a pas hésité à marteler, lors d’une conférence de presse, qu’il nous faut « nous préparer à l’avenir à quelque chose qui sera peut-être encore pire ».
Si vous pensiez diminuer votre consommation d’anxiolytiques, oubliez, c’est pas pour maintenant !
Et si le vrai danger n’était pas que sanitaire mais aussi démocratique. Les images hallucinantes du Capitole, envahi par une foule de partisans envoutés par la harangue d’un grand guignol à la mèche orangée, ne sont-elles pas le symbole du mal qui rongent nos démocraties ? Des esprits abreuvés à gogo de tweets et de posts Facebook, nourris des théories complotistes les plus folles, pénétrant le sein des seins de la démocratie, soit-disant au nom du peuple.
Twitter, Facebook et Google auront finalement coupé le sifflet à Donald. Nos démocraties ne dépendraient donc que de la volonté de ces géants d’internet. Après l’avoir laissé pendant 4 ans déverser ses outrances et ses fakes news, les plateformes précitées auront donc enfin décidé de sévir. Même le réseau social «  parler », repère des militants suprématistes blancs et des complotistes QAnon, s’est vu couper les ailes, Google ayant annoncé avoir retiré «  parler » de sa plateforme de téléchargements d’applications. L’envahissement du congrès aura eu raison de lui. Alleluia !!! Prosternons-nous devant les dieux Twitter et Facebook. Car nos esprits sont désormais guidés par leurs algorithmes, les théories du complot et les réalités virtuelles qui y sont développées.
La démocratie ? Quesaco ? Le concept semble bien lointain pour ces plateformes.
Ce qui compte c’est que le contenu devienne viral – je vous rassure rien à voir avec notre amie la Covid -. Plus votre idée, votre image, votre texte est relayé, plus vous êtes content. Le paradis des commères en fait. Rien de plus simple pour lancer une rumeur. La foule facebookienne ou twitterienne peut se déchaîner. « L’exagération des foules ne porte que sur les sentiments et en aucune façon sur l’intelligence (…) Par le fait seul que l’individu est en foule, son niveau intellectuel baisse immédiatement et considérablement », expliquait en 1895 Gustave le Bon dans sa Psychologie des foules. La foule est un être dénué d’intelligence.
Le réseau social est également la panacée pour dénoncer son voisin et se glorifier d’être un modèle. C’est aussi un formidable outil de développement des idées novatrices et des réflexions intellectuelles des piliers de bar. Twitter et Facebook ont permis un accroissement phénoménal de diffusion de leurs discours. De quelques apôtres émêchés, leur public est passé à une foule innombrable branchée sur Smartphone. Les théories de Dédé, expert en p’tit blanc du matin, sur la mutation d’un virus reçoivent autant d’écoute – voir plus- que celle d’un épidémiologiste émérite, chef de service d’un grand hôpital. Donnons la parole au peuple même quand il n’a rien à dire ! Et y a pas que Dédé qui fait le buzz, les politiques et même certains scientifiques en mal de notoriété ont bien compris l’intérêt de cet outil de communication.
Twitter et Facebook c’est le lieu où l’on trouve les vraies vérités. On est tranquille, y’a pas de contradicteur et pas de vérification de l’information. Pas de risque de se prendre un poing dans la gueule et peu de risque d’avoir un recours en diffamation. Tranquille, benaise… Les journalistes, ces empêcheurs de tourner en rond, arrêtez de les écouter, c’est bien connu, ils nous mentent ! Ils sont sous la coupe de «  l’establishment », comme disait le vieux Le Pen. La vérité est sur les réseaux sociaux qu’on se le dise ! « La dictature peut s’installer sans bruit », (George Orwel, 1984).

Optimiste comme on peut l’être en ce début d’année, il faut donc s’attendre à une évolution de notre société dans les années à venir. Peut-être pas celle espérée.
Si on était ensemble sur Facebook, je vous raconterais que la rédaction a la capacité de vous annoncer les Unes des années à venir et vous me croiriez ! Et là je vous dirais qu’en 2030, les journaux titreraient : « Les globes terrestes vont enfin disparaître des salles de classe. Il était temps, la terre étant plate », «  L’accord sur le climat a définitivement été abrogé, le réchauffement climatique était une invention des gouvernants du début du siècle », « Le paragraphe consacré à Amstrong, premier homme à avoir marché sur la Lune, est retiré de tous les livres scolaires », « La CIA condamnée pour avoir planifié les attentats du 11 septembre », « La Reine Élizabeth II reconnue coupable de l’assassinat de Lady Di »…
Vous allez me dire, des salades tout ça ! Impensable que les thèses complotistes les plus folles puissent un jour paraître crédibles au plus grand nombre !
Mais la réalité rejoint parfois la fiction…
Il y a un an si on vous avait dit que nous passerions un nouvel an sous couvre-feu et que 6 jours plus tard un fasciste avec des cornes de bison envahirait le Capitole, l’auriez-vous cru ?
« Dans des temps de tromperie généralisée, le seul fait de dire la vérité est un acte révolutionnaire. » George Orwell.

Frédérique Rose