Auto-entreprise, la bombe à retardement

Gérard Bobier, président de la CRMA Centre-Val de Loire

 

ACTUALITE BRÛLANTE La loi PACTE, plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, prévoit pour les autoentrepreneurs, que le stage de formation à la création d’entreprise, aujourd’hui obligatoire pour les artisans relevant de la Chambre des métiers, ne le soit plus. Les élus de la CRMA, chambre régionale de métiers et de l’artisanat, sont très inquiets.

Le projet de loi a été voté en première lecture à l’Assemblée nationale le 9 octobre dernier, et son passage devant le Sénat est prévu dans les prochains jours. Elle ambitionne de donner aux entreprises les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois, elle veut aussi simplifier la création. Et c’est là que le bât blesse, notamment pour les artisans autoentrepreneurs relevant de la chambre de métiers. « A ce jour, explique Gérard Bobier, président de la CRMA Centre-Val de Loire. Le stage de préparation à l’installation est obligatoire. Il permet au futur chef d’entreprise d’acquérir les connaissances de base essentielles et indispensables, notamment dans les domaines juridique, fiscal, social, comptable, pour la création d’une entreprise artisanale. Il est obligatoire pour toute personne sollicitant une immatriculation auprès d’une Chambre de métiers et de l’artisanat. Si ce stage n’est plus obligatoire, on va rencontrer des artisans couvreurs, maçons, coiffeurs ou restaurateurs ne maîtrisant aucune de ces bases professionnelles ».   

Un succès inespéré

Selon les chiffres de l’INSEE, ils sont 28 000 autoentrepreneurs actifs en Région Centre, enregistrés à l’Urssaf, soit le tiers des 97 000 travailleurs indépendants. Ils sont artisans, commerçants et professions libérales, dans des métiers qui vont de l’installation électrique à l’animation culturelle, de la vente immobilière au coaching.

Initié il y a dix ans par Hervé Novelli, alors conseiller régional du Centre, le statut d’autoentreprise avait deux objectifs. L’un, peu avoué, permettrait d’officialiser les activités exercées sans être déclarées et échappant à toutes cotisations sociales et assurances. L’autre, revendiquée, voulait aider les demandeurs d’emploi à créer leur propre job, et les aspirants créateurs à franchir le pas. Pour cela, les contraintes pour l’immatriculation ont été revues à la baisse, les charges aussi. Le statut a fonctionné à plein. Dix ans plus tard, la France compte 1,2 millions d’autoentrepreneurs, et le chiffre ne cesse de progresser, plus 10% en 2017.

Mais des effets secondaires

Dans la majorité des cas, l’effet escompté est au rendez-vous, et l’autoentrepreunariat fonctionne correctement. Mais il a aussi de nombreux effets secondaires que les entrepreneurs traditionnels dénoncent aujourd’hui. La question de la formation en est une. Elle inquiète les artisans notamment, puisque chacun peut revendiquer un savoir-faire, sans même être qualifié autrement que par sa propre expérience.

Autre inquiétude, la concurrence jugée souvent déloyale. « Comment un maçon ou un couvreur autoentrepreneur qui fait un chiffre d’affaires de 15 000€ par an, aurait-il les moyens de payer, ne serait-ce que sa garantie décennale ? J’ai cinq salariés, indique ce chef d’entreprise, je paye 6 000€/an d’assurance obligatoire quand l’autoentrepreneur ne paiera que 1 500€ ».

Le déséquilibre est aussi pointé du doigt s’agissant des taxes : pas de TVA pour l’autoentreprise. S’agissant des contrats salariés, ce sont à l’inverse les chefs d’entreprises classiques qui, profitant du système, sont cette fois pointés du doigt. « Certains incitent leurs propres salariés à devenir indépendants, leur promettant de les faire travailler plus tard ». Vœux malheureusement rarement suivis des faits tandis que l’entreprise diminue sa masse salariale. Restent les contrats récurrents, si récurrents parfois qu’ils sont requalifiés par les prudhommes en emploi déguisés.

Un couvreur s’insurge : « Pour éviter qu’un autoentrepreneur n’ait un chiffre d’affaires trop important, qui le ferait dépasser le plafond autorisé, il fait acheter les matériaux par son client, ne facturant ainsi que la main d’œuvre ».

Quid des cotisations retraite ?

L’autoentrepreneur ne peut ni créer d’emploi, ni accompagner de stagiaire, et a un chiffre d’affaires plafonné. Malgré tout, à la question : envisagez-vous de quitter le régime d’autoentrepreneur pour évoluer vers le statut classique ? La réponse est Non à 88%. Ou l’on voit la limite du système qui prévoyait d’inciter à cette évolution, pour ne pas en faire une situation durable.

Et pour cause, le point le plus sensible demeure celui des cotisations, pour l’assurance maladie, les charges diverses et surtout la retraite. Car le principe de l’autoentreprise est le suivant : « on ne paye rien quand on ne gagne rien ». Or, selon l’INSEE, le revenu moyen de l’autoentrepreneur, dont c’est l’activité principale, est de 12 à 17 000€/an. Un revenu si faible, qu’il ne laisse pas de quoi cotiser suffisamment pour une retraite raisonnable.

Qu’adviendra-t-il quand les autoentrepreneurs, aujourd’hui en activité, prendront leur retraite dans deux ou trois décennies ? Gérard Bobier pose la question. « Nous avons actuellement déjà du mal à payer les pensions de nos retraités qui ont pourtant cotisé toute leur vie. Alors qu’en sera-t-il quand ceux qui auront été actifs, mais sans cotiser, prendront leur retraite » ? C’est une bombe à retardement qui est allumée.

Alors que faire ? Sans doute ce pour quoi le statut avait été créé à l’origine. Faire en sorte que le statut d’autoentreprise ne soit qu’un point de passage, de transition, pour les créateurs, et non un état définitif. Il faut accompagner les autoentrepreneurs vers le statut « classique » des indépendants. Mais pour cela, rien n’est prévu.

 

Stéphane de Laage