Bourgeois de Calais ou Bourgeois de Palmyre


Plus d’un mois sans billet d’humeur à se mettre sous vos yeux acerbes. Pas de phrases assassines à vouer aux gémonies, son auteur aussi. Pas de courriers à la rédaction, et on voudrait que les services de La Poste ne ferment pas en milieu rural durant la période estivale. Et pourtant…
Pendant les siestes sur la plage, les Grecs ont continué de faire visiter l’Acropole. Les Migrants ont poursuivi leurs tentatives de passage en Méditerranée. Les championnats du monde de natation se sont déroulés en Russie, à Kazan. Pour les âmes bien pensantes, précisons qu’il ne faut voir là aucun rapport entre ces deux dernières phrases. Non, Vlado, le chef des Russiens et de la Crimée, n’a pas fait de trous dans les coques des bateaux pour obliger les Africains à s’entraîner en eaux vives. Les championnats du monde d’athlétisme ont eu lieu dans une autre grande démocratie, la Chine. A Pékin, l’herbe est toujours verte par la grâce de peintures idoines. Le fleuve jaune conserve toujours son nom mais sa couleur ne l’est plus qu’à la faveur d’une pollution aussi galopante que l’inflation économique. Un été sportif normal quoi…
Plus proches mais toujours si éloignés, en bons Îliens, les Anglais ont profité de la période estivale pour tenter d’envahir Calais. Une fois encore, une fois de plus. C’est ce que le très conservateur Daily Télégraph envisageait voilà quelques semaines. Selon cet organe de presse influant au pays de sa Gracieuse Majesté (tirage à 850 000 exemplaires, une paille quoi), entre un article sur l’art de préparer le meilleur des Gin-tonic et la dernière version de l’histoire de Robin des Bois (Robin Wood dans le texte), il serait temps d’envoyer l’armée du côté de Sangatte et de Coquelles. Les Grands-Bretons ne savaient plus s’ils n’allaient pas choisir six ou sept Bourgeois du cru pour leur mettre une corde au cou, comme au temps d’Édouard Three (3). Juste pour demander pardon de ne pas stopper les prises d’assauts des camions british, et des autres aussi, ils voulaient revisiter la célèbre sculpture de Rodin. Ça le fait pas, même si, sur le terme de Bourgeois, la notion d’appartenance clanique est désormais bien vague. D’autant que, à Calais, l’idée de Bourgeois est ce qu’est le nougat pour Montélimar, une référence historique tout simplement.
Concrètement, un Bourgeois, joue-t-il en bourse ou se procure-t-il ses subsides à la sueur de son front, de son intellect ? Un Bourgeois travaille-t-il, ou pas. Un Bourgeois est-il rentier ? Un Bourgeois peut-il être chômeur ? Un Bourgeois peut-il toucher des allocations familiales, même diminuées de moitié s’il gagne plus de 5000€/mois (à considérer qu’à partir de cette somme on est un bourgeois !) ? Un Bourgeois se doit-il d’être Bobo, BB ou Bibi. En voilà des interrogations auxquelles vous pouvez répondre vous-même en ce mois de reprise d’activité normale. Finalement, un Bourgeois de Calais est-il pareil à un Bourgeois de Douvres, voir à un Bourgeois d’Athènes ? Une certitude, pour le Bourgeois de Kobané ou de Damas, entre Daesh et Bachar, c’est chaud pour rester en vie !!!
Du coup, un enfant de trois ans, même pas fils de bourgeois, mort sur une plage turc pour avoir voulu vivre, ou tout simplement survivre, donne une sacrée image d’une migration, plus une fuite qu’une envie. Un mouvement de population à l’égal de ceux générés chez nous voilà à peine soixante-quinze ans. Là, aucun autre objectif que de se maintenir en vie. Là, comme au siècle dernier, on est bien loin de l’idée de la recherche d’un nouvel eldorado, de pont d’or et de sécurité sociale. La course aux allocs, comme le susurre les âmes fortes de partis, aussi nationalistes et réactionnaires que leur manque de vision politique globale, n’a rien à faire là. Même, Copé a expliqué que ces migrants « ne veulent pas profiter de notre système social mais réussir sur notre sol… » Jef, ce n’est plus un LR mais un LCR sur ce coup-là. Dans un monde qui se délite au rythme des sursauts d’un système économique en bout de course, on veut désormais regarder en paix un coin de ciel. Respirer un air plus pur que celui dégagé par des obus au phosphore, dans certains pays, cela devient une demande hors norme.
Angela, la dame venue d’au-delà du rideau de fer, les sbires des pôles financiers et les boursicoteurs du libéralisme ont été plus prompts à crever l’abcès grec qu’à trouver une solution à l’accès à leurs frontières. Il faut reconnaître que, pendant les travaux au pied du Parthénon, les magasins sont restés ouverts. La rentabilité de la crise du Péloponnèse et des alentours a permis de récupérer une petite quinzaine d’aéroports Hellènes. Accessoirement de rembourrer quelques portefeuilles qui n’avaient pas forcément besoin de cela… Alors, qu’Aylan, son frère et sa mère, n’aient pas atteint les rives d’un possible futur n’est pas grand-chose. Il aura fallu des images fortes supplémentaires, comme celles parvenues de Hongrie ou des frontières de Macédoine, pour que Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, verse une larme de crocodile et permette à sa patronne de lâcher du lest. Outre Rhin on ne se voile pas la face, même avec un tchador ou un simple foulard : par ici la main d’œuvre à bon marché, sans code du travail trop protecteur. On ne fait jamais assez de bénéfices sur ceux qui ont le moins de moyens !
A la bourse de Francfort on n’a noté aucun soubresaut depuis la prise de Palmyre. Par contre, quand le Yuan joue au yo-yo, c’est une autre paire de manche… et puis, si un Bourgeois Syrien qui vient en Europe est dénommé « migrant », un Bourgeois européen qui franchit ses propres frontières est souvent appelé « exilé fiscal ». On sauve toujours ce que l’on a…
Fabrice Simoes