Châteauroux – Toute une vie professionnelle derrière un microscope


Delphine, dans l’ancienne rue de l’Echo, en compagnie de l’homme de sa vie… après son mari.

La rue de l’Echo vient de devenir rue André Lescaroux. Le labo éponyme a rendu les clefs de son ancienne adresse pour s’installer quelques mètres plus loin. Souvenirs de laborantine.

« Quand on s’est installé dans les nouveaux locaux, en janvier, ça m’a fait un coup au cœur. La boucle était bouclée. Nous étions juste au dessus de l’endroit où André Lescaroux avait son premier laboratoire, avant de s’installer dans l’immeuble de l’impasse de l’Echo ». Elle rosit lorsqu’on lui dit qu’elle est la mémoire de la maison, mais son parcours est exemplaire d’une époque désormais révolue.

« Je suis entrée chez Lescaroux juste après mon bac scientifique. Ancien de Jean-Giraudoux, André Lescaroux voulait donner sa chance à un élève du lycée, c’est ma candidature qui a été proposée. »

Delphine avait les notions générales, André Lescaroux et Jacqueline Camenen, son associée, lui ont appris le métier. « Ils étaient extrêmement exigeants, c’est vrai que l’on travaille dans un domaine ou une erreur peut mettre en danger la vie d’un malade, mais ils m’ont donné une éthique et une envie de progresser dans la connaissance de mon métier qui font que je n’ai pas vu passer ces quarante deux années derrière mon microscope. »

Un microscope qu’elle a déménagé elle-même au mois de janvier dernier. Pas question de confier aux déménageurs un tel compagnon. « Il a des optiques Zeiss qui restent les plus performantes et puis on a des réglages qui nous sont personnels, changer de machine ce serait très perturbant. »

Au début une ménagerie à la cave

Quand elle est entrée chez Lescaroux, le laboratoire était déjà très important. « Il y avait une soixantaine de personnes, les locaux occupaient le rez de chaussée et le premier étage sur l’emplacement de la verrière. Et puis, au fil des besoins et des appartements qui se libéraient, le labo, à l’image des cellules qui se multiplient sous nos microscopes, a essaimé dans tout l’immeuble. Le premier d’abord pratiquement totalement, puis le second et le troisième dans la partie située au dessus de la verrière et j’ai terminé au sixième. Nous occupions, je crois, treize appartements qui ne comprenaient souvent pas d’aménagements particuliers, simplement une porte que l’on ouvrait dans les cloisons pour communiquer de bureau en bureau. Au sixième il y avait une cuisine pour ceux qui ne rentraient pas déjeuner et un lit en cas d’intempéries. Et à la cave c’était la ménagerie… »

A ses débuts notre laborantine avait à sa disposition des lapines, souris, grenouilles ou pigeons pour réaliser certaines analyses. Les tests de grossesse en particulier. « Les animaux ont disparu deux ou trois ans après mon arrivée, remplacés par des produits chimiques et désormais par des machines. A présent il faut avoir des connaissances en informatique pour comprendre ce qu’a analysé la machine… et l’interpréter bien sûr si elle détecte des anomalies. Désormais on ne peut plus être embauché sans avoir au minimum un BTS de biologie médicale. »

On l’appelait papy

De son patron, elle garde un souvenir ému. « Il était le premier arrivé et dernier parti. Quelques fois il dormait même au labo. Il a fait des prises de sang bien après l’âge de la retraite. On l’appelait papy. C’était un intime du professeur Bernard (président de l’Académie nationale de médecine et membre de l’Académie française) il avait une culture énorme. On aimait bien être de permanence avec lui à Noël, il nous apportait une bûche de chez Cornette (la boulangerie de la rue Ledru Rollin, où il résidait) et le champagne. »

Avec Jacqueline Camenen, André Lescaroux a fait de son entreprise l’un des plus gros labos privés de France. Le nombre des salariés est monté jusqu’à cent personnes, il est de l’ordre de quatre-vingt dix actuellement. 1300 à 1400 dossiers sont traités chaque jour et le labo est ouvert sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Une raison à cela : l’hôpital n’a pas de laboratoire d’analyse et les analyses de prélèvements chirurgicaux sont réalisées dans les laboratoires de ville.

Alors ces nouveaux locaux ? « C’est un changement total, ça permet de retrouver des collègues, c’est lumineux. » Au bout de quarante-deux ans de carrière la discrète Delphine ne connaîtra sans doute que quelques mois ce nouveau bâtiment de la rue Lescaroux.

« J’ai désormais l’âge et les trimestres pour partir. Lorsque travailler deviendra une contrainte, j’arrêterai. En quarante-deux ans je n’ai pas connu de promotion hiérarchique, mais je me suis tellement enrichie dans la connaissance de mon métier que je n’ai aucun regret. »

Pierre Belsoeur