Cinéma – Tonie Marshall encourage les femmes à oser


 

Le cinéma Les Lobis recevra à Blois la réalisatrice césarisée franco-américaine pour une projection en avant-première de son dernier film, « Numéro Une », qui sortira dans les salles le 11 octobre. Le long métrage narre l’ambition d’une femme cadre, jouée par Emmanuelle Devos, de gravir les plus hautes marches du CAC 40 dans un univers d’hommes aux dents longues. Jeu de questions réponses, en avant-première. 

Une mère de famille ingénieure qui tente de s’imposer dans un monde masculin, soutenue par un club de femmes. Comment est née l’idée de scénario ?

« Initialement, c’est une idée de série, intitulée « Le Club », qui mettait en scène un réseau de 8 femmes d’influence et évoquait la difficulté pour ces personnages féminins d’accéder à des postes dans la politique, les médias, l’industrie. C’était en 2009. Mais je n’ai pas trouvé de chaîne intéressée à ce moment-là. J’ai continué à me pencher sur le sujet, constatant que la société n’évolue pas tellement, j’ai presque l’impression qu’elle régresse en fait ! Les femmes gagnent moins que les hommes, elles sont souvent cantonnées à s’occuper des enfants, etc. Tout cela a conforté mon sentiment profond et il n’existe que peu de réalisations sur ce sujet précis, le terrain est vierge, alors je me suis dit qu’en réduisant le nombre de personnages, je pouvais en faire un film avec une figure féminine centrale, Emmanuelle Blachey interprétée par Emmanuelle Devos. Cette dernière n’évolue pas dans la politique car je trouve qu’on en parle déjà assez ; j’ai opté pour l’industrie car c’est visuel (turbines, etc.), et c’est aussi concret contrairement à l’abstraction de la politique. »

Des baies vitrées, des bâtiments aseptisés… L’ambiance de votre film est un peu froide, esthétiquement parlant. C’est voulu ?

« Vous faites partie de la poignée de personnes qui ont eu cette sensation ! Non, je ne trouve pas. Ces gens portent des costumes, ce n’est pas coloré, évidemment ! Avec le concours de la journaliste et grand reporter du Monde, Raphaëlle Bacqué, j’ai rencontré des patronnes comme Laurence Parisot  (qui fut à la tête du Medef, ndrl). J’ai croisé deux types de femmes, celles qui portent des talons de
12 cm et celles qui rentrent dans le moule vestimentaire du tailleur gris. Non, « Numéro Une » raconte une réalité, la vérité.»

Sinon, vous démontrez qu’être une femme, et de surcroît jeune, c’est un handicap ?

« Oui ! Souvent, il existe une misogynie bienveillante, paternaliste, protectrice qui infantilise les femmes au travail. Quand on propose un poste à une femme, elle réfléchit d’abord, elle ne s’y autorise pas et on ne l’y encourage pas, alors qu’un homme va dire tout de suite, oui je prends, et va grimper, même s’il est moins bon. Le pouvoir dans l’industrie est encore majoritairement occupé par des mâles de 50 ans. C’est une question d’éducation, il y a des modèles culturels bien ancrés et intégrés. »

Est-ce propre à la France ? La Chine est très présente dans « Numéro Une ».

« Pas du tout, au contraire ! Les pays du Nord, la Norvège, le Danemark, entre autres, m’ont dit non pour la projection de mon film, le trouvant archaïque et ne voyant ce que cela pourrait leur apporter… »

Quelles sont les solutions alors, en France tout au moins ? Cela risque de ne pas être simple…

« Oui mais il faut y aller ! Faire de la pédagogie. Adopter d’autres modèles. Je pense profondément que s’il y avait 40% à 50% de femmes à des postes clés à la tête des petites, moyennes ou grandes entreprises, la gouvernance changerait enfin, l’organisation du travail changerait. Il faudrait une loi !»

Vous comptez donc interpeller le président de la République, Emmanuel Macron ?

« Oui ! Une loi, je ne vois que ça ! Cela va faire grincer des dents au départ mais cela fera le job. Un congé paternité obligatoire pour les pères de famille, par exemple. Hommes et femmes, nous n’avons pas les mêmes hormones, nous fonctionnons différemment mais nous pouvons bien travailler ensemble. J’espère que mon film pourra faire réfléchir, évoluer les mentalités, donner du courage aux femmes. Oui, mon film est féministe et j’aime ce terme. Lors des avant-premières que j’ai déjà pu effectuer, le sujet a eu l’air de faire se questionner les hommes et d’interpeller les femmes. »

Tout comme vous croyez en la solidarité féminine, comme on le voit dans votre film ? Ça existe vraiment ?

« Oui, j’y crois. J’ai un certain âge et entre nous, les femmes, il existe une espèce de connivence intuitive, donc c’est facile. »

Pour résumer, une femme doit consentir des sacrifices pour réussir professionnellement ? Sa vie privée, par exemple.

« Engagée sur des postes clés, une femme ne peut bien sûr pas emmener tous les jours ses enfants à l’école puis aller les chercher. Toutefois, cela n’empêche pas que les moments passés avec sa famille soient intenses. »

Côté casting, Emmanuelle Devos occupe le rôle principal, c’est la dexuème fois que vous tournez avec elle, est-ce votre actrice fétiche ?

« Peut-être, sans doute. Nous nous connaissons bien.  J’aimerai en tout cas beaucoup retravailler avec elle. »

Et pour le reste de l’affiche ? Benjamin Biolay, Richard Berry…

« J’ai assez vite pensé à eux. Richard Berry a accroché avec mon histoire, et je lui ai dit, sois le plus charmant possible à l’écran… »

Au final, force est de constater que les femmes sont régulièrement au centre de vos films ?

« Je n’aime pas parler de films de femmes, c’est réducteur. Je fais avant tout des films. Mais je suis une femme, je connais ce qu’est un corps et un cerveau de femme, et c’est plus facile pour moi. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir l’habitude de travailler avec des hommes. Pour « Vénus Beauté », le personnage d’Angèle a un corps de femme et l’indépendance d’un garçon. »

Justement, au cinéma, est-ce compliqué d’être une femme ?

« C’est moins compliqué dans le cinéma que dans le monde de l’entreprise. Le mixage reste néanmoins un univers masculin, nous avons peu de femmes côté technique et ingénierie du son. Mais c’est un milieu moins violent que l’entreprise. Quand il y aura de plus en plus de femmes partout, ce sera bien ! Et encore une fois, si mon film peut faire changer un peu les choses, ce sera un premier pas.»

Quels sont vos autres projets, hormis la promotion en cours ?

« J’écris un nouveau long métrage et j’ai, avec mon associé, des idées de séries à développer. Je me concentre toutefois sur « Numéro Une » en ce moment ; on ne fait pas toujours un film comme on l’avait en tête mais celui-ci est très proche de ce que j’avais imaginé. »

Entretien : Émilie Rencien

Le distributeur de « Numéro Une » est Pyramide. La soirée du 20 octobre aux Lobis sera en partenariat avec Femmes 41. Le débat sera co-animé par Nicole Etchegoinberry, présidente du Directoire à la Caisse d’Épargne Loire-Centre et Christelle Ferré, présidente de Femmes 41.

Informations au 02 54 74 33 22
www.cap-cine.fr/blois-les-lobis

Trois bonnes raisons d’aller voir « Numéro Une »
Une histoire moderne

Le scénario démontre que la femme peut être un homme comme les autres et laisse entrevoir un élargissement du champ des possibles en 2017…

Un scénario écrit par des femmes

Tonie Marshall a coécrit le scénario avec Marion Doussot (« La marcheuse ») et la journaliste, spécialiste en politique, Raphaëlle Bacqué.

Le style Tonie Marshall

« Pas très catholique », « Vénus beauté » (plusieurs César), « Tu veux ou tu veux pas »… Tonie Marshall raconte sur grand écran, selon ses propres dires, des « vies de gens ». Les fans de la réalisatrice (et les autres) apprécieront à coup sûr « Numéro Une ».