Comme à la kermesse de l’école, par Fabrice Simoès


Comme un lutin à la conquête du plus beau trésor d’un Leprechaun Irlandais, le sexagénaire Philippe Manœuvre, ci-devant référence générationnelle de la culture des années 70, de Rock and Folk , de Métal Hurlant et de toutes ces sortes de choses, grimpe la rampe installée face à la tribune principale du Stade de France.
Il vient à la suite d’un DJ à l’ancienne qui a fait péter les watts en empilant des disques vinyle sur ses platines, et rappelé que les CD c’est du son froid et que les vieilles galettes, ça gratte toujours un peu, même si l’ingénieur du son du manger son carton à chapeau pour faire un réglage aussi mauvais du site. L’ex-première moitié du binôme des Enfants du Rock – Jean-Pierre Dionnet en était le deuxième élément – Monsieur Loyal d’un soir, attaché de presse de la soirée depuis des mois, caution morale du premier jour, se balance d’une jambe sur l’autre avant de s’époumoner pour lancer : « Bonsoir Paris. Ça va ??? » Comme pour un vrai concert. Comme si les Stones, themselves, allaient entrer dans la fosse aux lions pour envoyer Jumping Jack Flash . C’est la fièvre du samedi soir et la chaleur plombe les tribunes de la Plaine Saint-Denis. La bière à 8€ et 2€ pour la consigne du gobelet. L’esprit et les prix des grands rendez-vous musicaux sont bel et bien présents. Avant que les 50 000 spectateurs ne s’installent dans les tribunes, tee-shirts d’Iron Maiden, bandanas et barbes grisonnantes se sont croisés entre chaque porte. Jeunes, moins jeunes et familles assemblées. Les deux meilleurs déguisements de rocker, dégottés par le viseur d’une caméra, ont été récompensés : une guitare et une batterie … Au moins ceux-là n’auront pas fait le voyage pour rien.
Sur la pelouse, recouverte des plaques de protection, ce sont un peu plus de 1000 musiciens amateurs – 209 chanteurs et chanteuses, 389 guitaristes et guitaristes, 236 batteurs et batteuses, 204 bassistes et bassistes – qui vont faire le Stade de France et s’enfiler pour de vrai le « Jack bondissant comme l’éclair ». Un rêve de môme à jamais réalisé grâce à un Italien qui a trouvé un concept : faire bosser des musiciens bénévoles pour un grand spectacle de fin d’année de l’école de musique de France et de Navarre, pour partager « rien d’autre ». Marketing oblige, il a décidé d’appeler ça le plus grand groupe de rock amateur du monde. Pour salaire un gros papier, une photo, un interview, dans le journal local, et un autre plus petit au retour, des souvenirs plein la tête. Leur heure de gloire est arrivée, définitivement. Un an ou presque qu’ils bossent dans leur coin, comme des malades, comme des bons graisseux à l’ancienne. La play-list n’est pas loin de faire partie du domaine public … Pour la prestation on s’appuie sur du rock classique, de l’ACDC, du Deep Purple, du Led Zep, des morceaux que tout le monde connaît par cœur ou voudrait mashmallower à l’image de tout bon franchouillard, jusqu’à des trucs à fumer sous sa douche en hommage à l’incendie du casino de Montreux .
Entre 29€ et 49€ la place pour participer à la fête. Ça fait un peu raide pour le spectacle de fin d’année. Si personne n’a chanté « ce n’est qu’un au revoir » aux profs, ils vont pouvoir se payer une belle saison estivale … Un grand moment de partage à 2 millions d’euros la recette, a minima, sans les acteurs-partenaires de l’événement. Même avec les frais, cela devrait tout de même laisser un peu de marge et on mesure à quel point le sens du partage n’est pas obligatoirement le même pour tout le monde. Un grand moment de partage – on le dit et redit- entre les musicos, leurs fans perso et ceux qui avaient envie de s’en prendre plein les oreilles. Le « Woodstock du futur » selon notre Philippe, spécialiste du rock, l’année des 50 balais du festival modèle d’une culture idéalisée plus que réellement vécue, on veut bien mais y a encore du chemin pour entrer dans l’imagerie populaire. D’ailleurs, si pour une éventuelle captation sonore redistribuée, rien n’est pas impossible, il ne faudra pas compter en faire un film, même un court métrage. Ou alors avec les prises des 2 caméras fixes et de la seule caméra mobile, le monteur va avoir un travail dantesque.
L’enfumage mercantile est ainsi passé comme une lettre à la Poste. Sans l’hommage à Johnny, ça passait aussi. Même pas indispensable. Preuve que désormais le rêve peut s’acheter comme le reste et que l’on peut emmener sa famille et ses amis avec soi. Le pire dans l’affaire c’est que, musiciens ou spectateurs, tout le monde a adoré… et, bordel de péripatéticienne au bord d’une route départementale, du haut de la porte Z, rang 24, place 32, qu’est-ce qu’on s’est quand même bien secoué la boule… C’est grave Docteur ?