Le Dix-Huit Degrés Saint Nicolas


Voilà bien le modèle typique de la vraie maison de tolérance ; accès par une ruelle étroite après une volée de marches des Degrés Saint Nicolas, hors des rues passantes. Une maison protégée par de hauts murs sur trente mètres, porte blindée munie d’un guichet grillagé permettant d’apprécier le client qui venait d’appuyer sur la sonnette, les soulards et mines patibulaires étant refoulés, réputation de bonne maison oblige !

La porte a toujours sa couleur bleu nuit très sombre, et garde encore les traces de quelques coups de canne assenés par des clients mécontents de ne pas être admis dans ce lieu de plaisir.

Le numéro actuel a été vertueusement transformé en 18 bis, mais le frontispice au-dessus de la porte reste gravé dans la pierre de la marque infamante du numéro dix-huit, vestige d’un passé mouvementé.

Les huit pensionnaires pouvaient admirer de leurs chambres la vue imprenable sur la ville de Blois, ses toits d’ardoise et la Loire comme décor. De vieux messieurs du quartier, jeunes gens à l’époque, évoquent avec émotion les signes aguicheurs que leur adressaient ces dames par les fenêtres sud, seules ouvertures autorisées vers le large.

Côté rue, on entre par cette lourde porte blindée dans une petite cour, avant de s’introduire, si je suis me permettre, dans la maison, ornée aujourd’hui de magnifiques fenêtres Renaissance.

Les actuels locataires, sympathiques anglais résidant à Blois, n’ont plus le loisir d’admirer les peintures murales qui ornaient les pièces de scènes plus érotiques que bucoliques, la décoration moderne ayant malheureusement effacé toutes les traces de ce passé torride.

Cette maison close créée en 1830 existait encore en 1946 lors de la fermeture générale des maisons de tolérance en France, et on lira avec intérêt le livre « La Fermeture » d’Alphonse Boudard qui décrit avec sa gouaille habituelle la vie dans ces maisons et cette date fatidique. Marthe Richard avec sa loi du 13 Avril 1946 en a jeté à la rue des filles perdues, mais aussi « d’honnêtes » tenancières, et de valeureux rabatteurs réduits au chômage par sa faute !