Emmanuel Petit « Si le Brésil ne remporte pas sa coupe du monde, attention à l’explosion sociale»


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De passage en Berry le champion du monde propose une analyse, sans langue de bois, des enjeux sportifs et sociaux de la compétition qui début au Brésil.

Vingt secondes, c’est le temps qu’il a fallu à Emmanuel Petit, pour que de grand joueur il accède au statut d’héros national. Vingt secondes, le temps de récupérer le ballon dans le rond central et d’aller battre, au terme d’une superbe chevauchée, pour la troisième fois le gardien brésilien un beau soir de juillet 1998. Seize ans plus tard l’accueil des spectateurs de Saint-Maur , conviés à un match de gala témoigne qu’Emmanuel Petit fait partie de l’histoire du foot. Il commentera d’ailleurs pour France Télévision, la toute proche coupe du monde

Le petit Berrichon « Combien de fois avez-vous revécu ces vingt secondes dans votre vie ? »

Emmanuel Petit. « D’abord on se dit : ce n’est pas moi qui ait fait cela. Ça parait trop énorme. En fait je n’ai revu que trois fois le match. Je n’aime pas trop me voir jouer. La première fois, c’était dans la nuit après la finale, parce que de toutes façons j’étais bien trop énervé pour envisager de dormir. La seconde c’était à Barcelone. J’étais champion du monde et champion d’Europe, je jouais dans un des plus grands clubs d’Europe et pourtant j’étais malheureux, en pleine déprime. Et en voyant ces images ça m’a fait prendre conscience qu’après avoir fait ça je ne pouvais pas me laisser sombrer. La troisième fois, c’est encore plus personnel…»

Le Petit Berrichon «Comment se présente cette coupe du monde au pays du ballon rond ? »   

Emmanuel Petit : «Mal , la FIFA porte un regard qui me déplaît sur le football, l’affairisme y règne en maître au détriment des hommes. La situation sociale du Brésil montre que l’on va jouer sur une poudrière. Les manifestations que l’on a connues au moment de l’inauguration des stades en sont la preuve. Ce qu’il faut espérer c’est que le Brésil aille très loin dans cette compétition. Une élimination prématurée rendrait cette situation intenable et tout pourrait s’embraser.»

PB : « Etait-ce prévisible au moment où l’on a donné la coupe du monde au Brésil?»

EP : « Pas forcément à ce moment là, mais les exigences de la FIFA sont telles qu’une coupe du monde entraine des frais délirants. et des prix de places hors normes. Et puis quand le président de la fédération brésilienne fait l’objet de douze chefs d’accusation et reste à son poste d’organisateur, on peut avoir quelques doutes sur la transparence de son organisaation.»

PB : «Pour revenir au domaine purement sportif peut-on rêver d’une nouvelle finale entre la France et le Brésil?

EP : «Il y a deux mois on était à la cave. Depuis, il y a eu le match retour contre l’Ukraine et un match amical parfaitement maîtrisé contre les Pays-Bas. Ce qui fait la force d’une équipe c’est sans doute la présence de grands joueurs, mais c’est aussi l’état d’esprit de l’intérieur du groupe. On vit ensemble pendant deux mois. Le rôle du sélectionneur est essentiel et Didier Deschamps  saura prendre des joueurs , mais surtout des hommes qui auront compris qu’en coupe du monde on joue pour son pays – ça n’a rien à voir avec l’attachement qu’on peut avoir pour son club-  et que c’est la complicité qui amène les performances.»

PB : «Alors jusqu’où peuvent-ils aller?»

EP : « Au vu des récentes confrontations le Brésil est incontestablement le grand favori, à condition que l’énorme pression qui repose sur les épaules des joueurs ne leur soit pas fatale. La finale cent pour cent espagnole de la coupe d’Europe prouve que le champion en titre aura son mot à dire, tout comme l’Argentine si Messi retrouve son meilleur niveau. Il y a aussi l’équipe belge qui me séduit beaucoup. Si cette édition arrive un peu trop tôt, les Belges seront à coup sûr redoutables dans quatre ans. Cela dit, la France est dans une poule facile dont elle doit sortir. Ensuite chaque rencontre sera un match couperet, il faut avoir beaucoup de détermination… et un peu de chance.

PB : Deschamps est-il l’homme de la situation ?

EP : « Il existe de grands joueurs qui aspirent à devenir entraîneurs. Lui, c’était dans ses gènes. Quand il était joueur ce n’était pas un joueur brillant, plutôt un porteur d’eau, mais quel porteur d’eau! Lisant le jeu plus vite que les autres, il était capable de replacer ses coéquipiers et on ne discutait pas. Un entraineur, en dehors de ses connaissances techniques, c’est quelqu’un qui est capable d’aller vers les joueurs. Aimé Jacquet jouait ce rôle avec un côté un peu paternaliste. Didier a cela, avec sa propre personnalité bien sûr.»

PB : Vous partez au Brésil  dans quel état d’esprit ?

EP : «J’espère que ce sera un mondial spectacle. Mais quel que soit le résultat de la France cela ne remettra pas en cause les réformes qui s’imposent pour rendre la parole au football amateur.»

Propos recueillis par Pierre Belsoeur