Les gens de Bourges vus par un contemporain en 1825


« Une inscription gravée anciennement sur une des portes de Bourges donnait une bien juste idée des habitants de cette ville et de tous ceux du Berry : « purs dans leurs mœurs, affables dans leurs manières, exempts de feinte et d’hypocrisie dans leur religion » : voilà ce qu’ils étaient autrefois et ce qu’ils sont encore aujourd’hui.

On ne peut juger du caractère des habitants d’un pays par celui des classes élevées de la société, parce que leur éducation, qui est à peu près la même partout, le modifie et lui imprime une teinte d’uniformité sous laquelle disparaît la couleur primitive et originale. C’est donc le peuple seul que l’absence d’éducation a laissé tel que la nature l’a formé, chez qui n’ont pas été altérées ces habitudes et ces inclinations qui tiennent aux localités, proviennent du ciel sous lequel il vit, de l’air qu’il respire, et souvent aussi ne sont qu’une suite de traditions.

Le peuple du département du Cher est généralement bon, d’un esprit facile à diriger, honnête dans ses rapports avec les classes supérieures, doux dans ses relations domestiques ; ses plaisirs sont tranquilles et peu tumultueux ; il a peu le goût de l’ivrognerie et son humeur n’est pas querelleuse : aussi ses réunions sont-elles exemptes de ces rixes violentes qui troublent et ensanglantent si fréquemment celles des autres contrées ; il a un grand fonds de probité ; aussi voit-on avec plaisir et même avec orgueil que les affaires criminelles y sont en petit nombre et les peines graves très rarement prononcées envers ses habitants.

Dans le cours désastreux de notre révolution, le Berruyer ne s’est livré à aucun de ces excès dont tant d’autres parties de la France ont eu à déplorer les cruels résultats ; et le peu d’effervescence qui a régné momentanément dans le département y a été excité par des étrangers : sans eux, cet heureux pays aurait traversé sagement les orages révolutionnaires sans s’apercevoir de la tourmente.

Le peuple du département du Cher est apathique, peu industrieux, ennemi irréfléchi de toute innovation, quelle qu’elle puisse être, et obstinément attaché aux vieilles routines ; mais cela tient au défaut de commerce, au manque absolu de communications ; en un mot, à l’absence totale des circonstances qui peuvent stimuler son activité.

Si on passe aux classes plus élevées de la société, on y verra toutes les bonnes qualités du peuple, développées par l’éducation ; on y rencontrera beaucoup d’affabilité dans les manières et de régularité dans les mœurs, une grande union dans les ménages, un goût d’ordre et d’économie poussé peut-être un peu trop loin, mais en même temps un esprit de charité et de bienfaisance au-dessus de tout éloge.

On ne trouve pas dans les habitants du département du Cher cette richesse d’imagination, cette vivacité d’esprit, ces saillies brillantes qui sont l’apanage des habitants de nos pays méridionaux, mais on y trouve ce qui vaut peut-être mieux, un esprit juste, un sens droit et un grand fond de jugement.

La douceur du caractère des Berruyers n’exclut pas le courage : à différentes époques de notre histoire, ils ont prouvé par leur valeur qu’ils n’avaient pas dégénéré de ces Gaulois qui opposèrent à César une si longue et si glorieuse résistance ; et de nos jours, dans cette lutte terrible, soutenue avec tant de gloire par les armées françaises contre l’Europe entière, dans cette multitude de batailles qui, mieux que celle de Marignan, méritèrent le nom de bataille de géants, quelle que soit la couleur de la bannière sous laquelle ils ont marché, les Berruyers se sont montrés dignes de cette noble France, cette véritable terre classique des braves. »