En juin les pelleteuses vont faire disparaître l’essentiel des ateliers pour réhabiliter le site. L’OPAC a invité les anciennes ouvrières à une ultime visite. Un salut à l’époque reine de la confection dans l’Indre.
Il n’y guère eu de larmes, mais l’émotion était bien présente ce jeudi 16 mars, lors-qu’une soixantaine d’ouvrières, quelques ouvriers et des anciens du quartier ont répondu à l’invitation de l’OPAC de venir visiter une dernière fois leur usine des « 100 000 chemises ». Elle a fermé définitivement ses portes en 2004. Rendre hommage à cette institution c’est célébrer en même temps l’industrie de la confection qui a fait travailler la main d’œuvre féminine dans l’Indre tout au long du XXe siècle. Une tradition qui s’est éteinte avec des crises à répétition, à partir de 1975 lorsque la société de consommation a imposé la mode de pacotille à petits prix. Il fallait acheter beaucoup, pas cher, des vêtements fabriqués dans des pays où l’on exploitait des « petites mains » bien plus jeunes que les ouvrières de l’Indre qui entraient pourtant dans les ateliers dès leurs quatorze ans dans les années 50.
« Va voir aux 100 000, on embauche »
Marie-Jeanne a connu, à 53 ans, la fin des 100 000 Chemises. « J’avais travaillé trois ans dans la confection à Ambrault et puis je me suis mariée et j’ai eu des enfants. Quand j’ai voulu retrouver du travail une ancienne des 100 000 m’a dit d’aller voir à l’usine. J’ai pris mon vélo, j’y suis allée le matin et madame Saulnier m’a dit « Pouvez-vous revenir cet après-midi ? C’est comme ça que j’ai commencé. Aujourd’hui il faut savoir se vendre pour avoir un emploi. Ce n’était pas le cas à l’époque. En 86 j’ai failli partir dans un plan de licenciement, mais comme j’avais perdu mon garçon dans un accident ça a dû être pris en compte. Et puis il y a eu la fermeture. »
Aux 100 000 Marie-Jeanne a travaillé aux stocks, à la coupe, à la lingerie elle a même fait du classement, dans les bureaux, quand l’activité baissait, l’été. Mais son vrai travail, c’était les cols. « C’était Ginette, ma petite patronne. »
« Tout le monde rampait devant la patronne »
Ginette va être notre guide pour redonner vie au grand atelier au toit à sheds transparent. « Au début, les cols étaient au fond à droite. Et puis tout a été réaménagé, c’était plus cohérent. J’avais travaillé dans une chemiserie de Chabris, de 14 à 21 ans, avant de me marier et de venir à Châteauroux. Je suis entrée aux 100 000 en 1957. Je me souviens de monsieur et madame Saulnier un grand couple très impressionnant. Ils connaissaient parfaitement leur métier et madame Saulnier avait une autorité naturelle. Quand elle se mettait debout, on rampait .» Ginette a passé toute sa carrière d’ouvrière à assembler les cols aux chemises. « Dans une chemise il y a le col, le dos, les manches, la jupe (le devant pour les profanes que nous sommes) dans cet atelier on assemblait tout cela. Les cols nous arrivaient de la coupe. Je me souviens de la petite Besnard qui assemblait col et triplure et puis ça partait au montage. Quand je suis arrivée on était 450, beaucoup moins évidemment à mon départ en retraite en 87. Je n’ai jamais eu la crainte du licenciement. Je me souviens des fêtes de Sainte-Catherine, dans le parc mais aussi de la fête du centenaire en 1986. »
Justement c’est peut-être bien Marie-Thérèse qui a apporté la lettre de Joseph Pilosoff, le grand patron parisien, datée du 7 juin 1986, annonçant aux ouvrières qu’elles trouveraient une prime de 300 francs sur leur bulletin de paye. « Il y a eu une grande réception salle Racine et j’en connais au moins une qui n’est pas rentrée chez elle avec sa mobylette. Ce jour là on s’est vraiment bien amusé. »
Les chemises du général De Gaulle
Marc n’a pas fait carrière aux 100 000 chemises. Mais c’est de sa faute « J’ai travaillé un peu plus d’un an. Je coupais les chemises du général. Et puis je me suis présenté à un concours de la fonction publique et j’ai été reçu. J’y suis parti et je me suis rapidement rendu compte que le travail n’avait pas le même intérêt. Mais quand je suis revenu voir le patron, il n’a pas voulu me reprendre. » Voilà comment on devient fonctionnaire.
Pierre Belsoeur
Une maison de santé, un plateau commercial de 64 logements, appartements ou maisons individuelles.
Le nouveau quartier « 100 000 chemises » ce sera 64 logements, maisons ou appartements à louer ou en accession à la propriété, un bâtiment pour La Mutualité Française, une maison de santé pluridisciplinaire et un plateau commercial. Les travaux commenceront en juin et les dernières livraisons sont prévues pour 2021 l’OPAC 36 (office public d’habitat d’aménagement et de construction) est le promoteur du projet et a confié à l’atelier d’architectes tourangeau Ivars et Ballet la conception d’une création qui respecte l’histoire du site.
Non seulement le projet respecte les bâtiment classés, en façade sur la rue de Strasbourg et la maison de maître mais réhabilite la voie qui permettait aux salariés de quitter l’usine et servait de voie d’accès aux marchandises. Par ailleurs le tiers de la surface (l’emprise est de 13 000 m2) sera réservé aux espaces verts et préservera évidemment les beaux arbres qui entourent la maison de maître.
Les architectes ont aussi conçu le bâtiment qui abritera la Mutualité Française, rue de Strasbourg comme un pendant de l’ancienne façade de l’usine qui accueillera la maison de santé pluridisciplinaire. Le Petit Berrichon aura l’occasion de revenir régulièrement sur ce projet au fur et à mesure de son avancement.
Un livre souvenir
Les anciens des 100 000 ont passé deux heures à visiter leur ancienne usine où beaucoup n’avaient pas remis les pieds depuis leur départ en retraite, désolés de voir dans quel état se trouvaient les locaux, squattés et taggés. La présentation du nouveau quartier, avec les rappels architecturaux de l’ancien site ouvrier, par Pascal Longein, directeur de l’OPAC et Richard Pez responsable des constructions neuves de l’office leur a remis du baume au coeur.
Le travail de recherches de Thierry Desfougères, alimenté en particulier par les documents de toutes sortes fournis par les anciens des 100 000 sera prolongé par un livre qui paraîtra fin 2018 aux éditions La Bouinotte. Le photographe Yvan Bernaer enrichira son contenu de ses clichés et d’entretiens avec les anciens qui lui confieront leurs souvenirs de l’époque reine de la confection dans l’Indre.
