L’histoire de l’été : les sangliers fossoyeurs


En attendant les vacances, nous vous proposons une histoire en trois épisodes à retrouver dans les numéros de juillet.

Mardi
En ce jour de la Toussaint, les premiers rayons de soleil commencent à illuminer par petites touches la Sologne. Comme chaque matin, Caroline, qui aime se lever tôt, ouvre les volets de sa cuisine. La vision qui s’offre alors à ses yeux, arrête son geste. Le souffle coupé, la femme, interloquée, reste figée. Son jardin, qui encore hier faisait sa fierté, est devenu un champ de ruine. La terre, tout autour de sa maison, est retournée, labourée. Aucune touffe d’herbe, aucune plante, ne semble avoir été épargnée. Caroline sent les larmes lui monter aux yeux. Les coupables ont signé leurs méfaits.
« Salauds de sangliers ! » murmure-t-elle entre ses dents.
« Jean ! », crie-t-elle. « Jean ! Lève-toi, et viens voir. »
Jean Dubreuil connait bien son épouse, et le ton employé lui fait présager une catastrophe. D’un bond, il saute hors de son lit, et se dépêche de la rejoindre.
En constatant les ravages faits par les bêtes noires, lui aussi est saisi par l’émotion. La gorge nouée, Caroline lui reproche aigrement de ne pas avoir réparé le grillage et remplacé les vieux piquets brinquebalants qui entourent leur terrain.
Jean enfile un pantalon, met un pull et un blouson, appelle Kali, son épagneule breton, puis il sort de chez lui pour constater les dégâts…
Son terrain a vraiment été massacré. Ici et là, des pieds ont marqué la terre, ce qui lui permet d’estimer la compagnie à une douzaine d’animaux, majoritairement des adultes, dont deux ou trois, vraiment très gros. Très vite, il découvre les passages par lesquels sont rentrés en force les suidés. Là, son grillage en piteux état, a été soulevé à plusieurs endroits. Seule une petite partie de son champ n’a pas été retournée. D’évidence, les animaux se sont particulièrement acharnés sur la partie humide du jardin.
Jean Dubreuil est un citadin qui, tout au long de sa vie d’agent immobilier à Bourges, a eu comme unique objectif, une fois arrivé à l’âge de la retraite, de s’établir en Sologne, dans cette belle région restée encore sauvage, afin de vivre au milieu de la nature et d’y pratiquer sa passion, la chasse… Caroline, petite brune, mince aux yeux noirs, sage-femme pendant quarante ans, supportait difficilement, elle-aussi, de vivre en appartement. Depuis leur mariage, elle a soutenu, sans faillir, son mari dans son projet. Les rêves deviennent parfois réalité ! Il y a de cela maintenant deux ans que le couple, après avoir trouvé une maison à leur convenance, s’est établi à Saint-Viâtre, dans la région des étangs.
« Bon ! » se dit Jean en soupirant. « Les sangliers se sont bien amusés, mais, comme ils n’ont pas été dérangés, j’imagine qu’ils vont probablement revenir très prochainement… »
Un peu maussade, il rappelle Kali et revient chez lui pour prendre son petit déjeuner. Caroline fait toujours grise mine. Son jardin, elle a passé des heures et des heures à l’entretenir, à planter de nouveaux végétaux, à désherber. Le remettre en état lui semble une tâche insurmontable.
« Tu devrais téléphoner à la Fédération pour leur demander si ce genre de dégradation est indemnisée » demande-t-elle, acerbe, à son mari.
Jean, qui connait bien le problème, lui explique que seuls les cultivateurs peuvent se faire rembourser les dégâts causés par les grands animaux …
Jean, c’est un tendre qui adore son épouse. Il se lève, prend Caroline dans ses bras, puis, tout en l’embrassant, il tente de la consoler en lui certifiant qu’avec l’aide de leurs deux enfants, Romain et Laurence, tout devrait être remis en état en quelques jours. « D’ailleurs, je vais les appeler pour leur demander de venir samedi prochain… Tu verras, à quatre, nous allons y arriver. Je demanderai également à Romain de m’aider à installer une clôture électrique… Nous sommes mardi, je n’aurai pas le temps de remettre le grillage en état. Mais, comme il est à craindre que les sangliers reviennent la nuit prochaine pour finir ce qu’ils ont commencé, je vais me mettre à l’affût avec ma carabine dans la chambre du bout. S’il n’y a pas trop de nuage, la lune devrait me donner assez de luminosité pour pouvoir tirer, sinon, les effrayer. »
Une bonne partie de la journée, muni chacun d’un râteau, Caroline et Jean remettent, une par une, les mottes retournées dans les sillons creusées par les bêtes noires. Tout en travaillant, Jean se remémore ce moment passé à regarder faire un sanglier élevé par un de ses copains. Il avait été complètement interloqué de constater à quelle vitesse, groin planté dans le sol, l’animal, à la recherche de vers et de mulots, arrivait à labourer si facilement la terre.
Le soir après dîner, Jean s’installe confortablement dans la chambre donnant sur son terrain. Son arme chargée à portée de la main, le menton posé sur un coussin calé sur le rebord de la fenêtre aux volets à moitiés fermés, attentif à ne pas faire le moindre bruit, le guetteur n’a pour seule distraction que les hululements d’un couple de chouettes qui semble en désaccord. Dans le silence et l’obscurité, le temps s’écoule lentement. Après quatre heures de vaine attente, les paupières lourdes, sans même qu’il s’en rende compte, le sommeil prend perfidement le veilleur …

Mercredi
C’est la froidure de l’aube qui tire Jean de son sommeil. Non, les sangliers ne leur ont pas rendu visite cette nuit, soupire-t-il en s’étirant. Après avoir fait sa toilette et avalé un café, Jean décide d’aller rendre visite à Maurice, son voisin, propriétaire d’une centaine d’hectares de sapinière, attenante à son terrain. Maurice lui confirme qu’il connait bien cette compagnie, qui passe régulièrement chez lui. Mais que ces sangliers ne font que traverser ses bois. « Tu vois, c’est bien trop propre chez moi. Le sol, où poussent les grands sapins, est complètement découvert. Généralement, les grands animaux préfèrent les sous-taillis recouverts de ronces, quasi impénétrables, pour se bauger. On peut même imaginer que cette bande, qui effectue chaque nuit de grands déplacements, est « calée » pour la journée à plusieurs kilomètres de là. »
Cette nuit-là, Jean, en manque de sommeil, s’endort profondément…

Jeudi
Jean est encore une fois réveillé par les cris de Caroline qui fulmine contre les sangliers, et contre tous ces soi-disant chasseurs, incapables de réguler ces animaux destructeurs.
Effectivement, la compagnie est revenue dans la nuit, saccageant, pour la seconde fois, les parcelles qu’ils avaient déjà endommagées, creusant ici et là, de nouveaux sillons, de nouveaux trous.
Là, vraiment découragé, Jean prend le temps de déjeuner avant d’aller visualiser à nouveau le travail fait par les cochons.
Immédiatement, son regard est attiré au loin, en bordure de son voisin, par quelque chose de clair qui semble sortir de terre. Intrigué, il s’approche à grandes enjambées.
Arrivé à quelques pas, Jean s’arrête, n’en croyant pas ses yeux.
« Je vis un cauchemar ! », murmure-t-il entre ses dents.
Au fond de l’excavation profonde creusée par les bêtes noires, il découvre une main blafarde, l’index dirigé en direction du ciel…

Alain Philippe

À suivre…