Maurice Genevoix au Panthéon


RENCONTRE Le président de la République a annoncé l’entrée de Maurice Genevoix au Panthéon pour honorer l’homme, l’écrivain, mais aussi le soldat de 14-18. Je n’ai pas résisté à l’envie et j’ai fait comme si j’avais pu rencontrer ce grand passionné de la Sologne et de la Loire.

Gérard Bardon

Maurice Genevoix – Crédit photo Roger Soulas

 

Interview apocryphe de Maurice Genevoix

Maurice Genevoix, votre nom éveille, pour nous les Solognots, des souvenirs de dictées de primaire et de lectures de collège bien évidemment mais aussi de chasse dans les chemins humides, de braconnage, de parties de pêche, de cueillette de champignons et de promenades dans les forêts de notre terroir. Vous êtes cet écrivain dont les écrits portent l’amour de la lande, des bois de Sologne et de la Loire, au bord de laquelle vous êtes né le 29 novembre 1890, à Decize, dans la Nièvre, et auprès de laquelle vous avez toujours vécu. Parlez-nous un peu de vous.

« Je fus élève au lycée d’Orléans, puis au lycée Lakanal, avant d’entrer à l’École normale supérieure. Mobilisé en 1914, j’ai dû interrompre mes études pour rejoindre le front comme lieutenant dans l’infanterie. J’y fus grièvement blessé, je pense que nous reparlerons de cette épreuve terrible que fut la guerre des tranchées. La paix revenue, marqué par toutes ces horreurs j’ai renoncé à ma carrière universitaire pour me retirer en Sologne et me consacrer à la littérature. Mes livres ont souvent pour cadre la nature, des bords de Loire et de la Sologne dans laquelle évoluent en harmonie hommes et bêtes. Je pourrais citer Rémi des Rauches (1922), Raboliot, bien sûr, dont nous relevons aussi je suis sûr, qui m’a valu une précoce reconnaissance avec le prix Goncourt 1925, La Boîte à pêche (1926), Les Mains vides (1928), Rroû (1930), L’Assassin (1932), Gai-l’Amour (1932), Forêt voisine (1933), Marcheloup (1934), Le Jardin dans l’île (1936), La Dernière Harde (1938), Les Compagnons de l’Aubépin (1938), L’Hirondelle qui fit le printemps (1941), Sanglar (1946), L’Aventure est en nous (1952), Au cadran de mon clocher (1960), La Loire, Agnès et les garçons (1962), Derrière les collines (1963), Christian Caillard (1965), Beau Français (1965), La Forêt perdue (1967), Images pour un jardin sans murs (1968), Tendre bestiaire (1969), La Mort de près (1972), Un jour (1976), Loreleï (1978), La Motte rouge (1979), Trente mille jours (1980)… j’en oublie certainement. J’ai toujours été un observateur attentif et amoureux de la vie des champs, des étangs et des forêts et des personnages qui les fréquentent. »

Vous êtes aussi, le peintre réaliste et poignant des poilus de 14 dont vous avez révélé les souffrances et la misère dans « Ceux de 14 » : Sous Verdun (1916), Nuits de guerre (1917), Au seuil des guitounes (1918), La Boue (1921), Les Éparges (1923). Cette œuvre magnifique a pris place parmi les grands témoignages de la Première Guerre mondiale.

« Vous savez pourquoi j’ai si bien décrit, à ce que l’on dit, la boue des tranchées, le froid, la peur, l’atrocité de cette guerre si meurtrière, c’est que moi-même je l’ai vécue dans ma chair, sur mes os, dans mon coeur. Je pense que c’est là que je suis devenu écrivain. Je n’avais que 24 ans lorsque j’ai été envoyé au front où j’ai participé à la bataille de La Marne, à Verdun, je me suis battu aux Eparges. Après les terribles combats des Éparges, le 25 avril 1915, l’état major engage un mouvement offensif dans l’axe de la tranchée de Calonne. Mon régiment est envoyé sur place avec pour mission de résister le plus longtemps possible à l’attaque allemande, quitte à se faire tuer sur place. Je suis atteint de deux balles par un tireur allemand. Une troisième balle me touche à la poitrine, en baissant un peu la tête je vois un trou rouge dans ma vareuse. J’ai pu me traîner à deux mètres de là et l’homme ne me voyait plus. Je n’étais plus qu’un blessé, j’étais hors du coup, très grièvement blessé. Je n’étais plus qu’une épave et il s’agissait d’évacuer cette épave souffrante et misérable. Le bon côté de ce malheur c’est que la guerre se termine là pour moi, à l’endroit où sont morts 12 000 de mes compagnons de misère. Je suis déclaré alors invalide à 80% et réformé. J’ai employé ma convalescence à écrire ces carnets de guerre d’où sortira mon ouvrage: « Ceux de 14 ». Dans ces livres je ne juge pas, je ne philosophe pas sur la guerre, sur les combats. Je décris, je montre la guerre, ma guerre, la détresse des uns et des autres sans effets de style, de plume, sans emphase ni rhétorique. Puis je suis rentré à Châteauneuf-sur-Loire, dans le Loiret, où j’avais passé mon enfance. »

Il était impossible de ne pas parler de Raboliot, notre « Raboliot » à nous Solognots, il marqué la littérature puisqu’avec ce titre vous avez obtenu le Goncourt et il a marqué la Sologne puisque ce personnage est devenu l’emblème de notre terroir. Comment est né celui qui est dans toutes nos mémoires?

« J’aime la Sologne comme j’aime les bords de Loire, c’est d’ailleurs au cours d’une de mes nombreuses promenades dans ce coin de nature que j’ai acheté la maison dont j’avais toujours rêvé à Saint-Denis-de-l’Hôtel. J’ai donc décidé de consacrer un roman à cette Sologne qui m’intéressait, m’interpellait, et ce fut « Raboliot ». Ce personnage de braconnier pauvre, mais plein de qualités humaines, qui braconne pour mieux manger plaira beaucoup dans cette région, où la forêt et la chasse sont une seconde nature, deviendra le symbole, le mythe de toute une région. Je sais que désormais on nomme les alentours de Brinon: « Le pays de Raboliot » … Un jour de l’été 1924 j’ai choisi ce joli village pour y puiser les renseignements qui étaieront mon futur roman, un cadre plus ou moins défini: la Sologne entre Sauldre et Beuvron. Je m’embarque alors un beau matin à bord du tortillard qui part de la gare de Châteauneuf-sur-Loire en direction de Brinon. Je change à Tigy et arrive le soir après trois heures de trajet à quarante kilomètres de mon départ. Je décide de m’installer dans une maison de garde, à proximité d’un étang et je me mets en quête d’informations. Se ménager des rencontres, des intelligences, en Sologne, c’est un art qui ne s’improvise pas. Les Solognots sont des taiseux. Il a fallu du temps pour briser cette « loi du silence » régnant autour d’un sujet aussi sensible que le braconnage. Je parviens à faire la connaissance de gardes, de métayers, d’un empailleur, qui allait m’inspirer le père Touraille. Après avoir défini le cadre, l’environnement de cette histoire : l’étang des Clouzioux allait devenir la Sauvagère, le hameau de Monteaux celui de Bois Sabot… il me manquait le héros, un authentique braconnier, que la vox populi chuchotante ne tarda pas à me désigner: « Depardieu dit Carré ». Après avoir obtenu une audience dans une discrète arrière-salle d’auberge, mon braconnier m’a posé, non pas un collet, mais un lapin. Qu’importe ce rendez-vous raté m’a sans doute permis de façonner un véritable personnage romanesque. C’est ainsi que mûrit mon livre, c’est ainsi que mon personnage au lieu d’être une copie fidèle aux contours stricts et reconnaissables provoqua de village en village une singulière émulation. Si Raboliot est devenu un personnage universel, mais profondément Solognot, c’est parce qu’il appartient à l’imaginaire local tout entier et n’est pas le simple produit d’une banale enquête documentaire. Pour la petite histoire, j’ai été initié aux techniques du braconnage, de nuit notamment, par un… garde-chasse particulier, dont je tairai le nom. Je lui dois vraiment beaucoup à cet homme qui n’est pas venu un jour d’août 1924 et notamment, dès 1925, le prix Goncourt. »

Monsieur Genevoix, les marques de reconnaissance, tant pour votre courage que pour votre talent de plume, sont nombreuses et méritées: Grand-croix de la Légion d’honneur, Grand-croix de l’ordre national du Mérite, Commandeur des Arts et des Lettres, Commandeur des Palmes académiques, Croix de guerre 1914-1918, prix Goncourt en 1925, le Panthéon n’était donc que justice ?

« Je vous en laisse la responsabilité mais quel homme peut dire qu’il se moque de la reconnaissance de ses congénères. Vous avez cependant oublié l’Académie Française. Candidat au fauteuil de Louis Gillet, en avril 1946, je me suis retiré devant Paul Claudel. Mais j’ai été élu le 24 octobre de cette même année, sans concurrent, par 19 voix au fauteuil de Joseph de Pesquidoux et reçu le 13 novembre 1947 par André Chaumeix. Amoureux passionné de la langue française, cette entrée fut pour moi une joie immense. J’ai d’ailleurs exercé ensuite, de 1958 à 1973, la charge de secrétaire perpétuel. Alors bien évidemment que je suis sensible à l’honneur qui m’est fait d’entrer au Panthéon mais je tiens à ajouter que je fais entrer avec moi mes compagnons d’armes car je tiens à être le porteur de leur mémoire. »

Vous étiez déjà dans notre Panthéon à nous Solognots en compagnie d’autres grands écrivains de « terroir » (et c’est un compliment) comme George Sand, Alain-Fournier, Henri Barberousse, Marguerite Audoux… Vous entrez au Panthéon des Grands hommes, avec ceux de 14, vous tenez à cet ajout, et ce n’est que justice. Après s’être retiré dans sa maison des Vernelles son port d’attache de Saint-Denis-de-l’Hôtel, Maurice Genevoix décédera en Espagne, où il passait des vacances en famille, en 1980. Que le lecteur me pardonne cette fausse entrevue mais j’aurais tellement aimé rencontré celui qui, pour moi, est parmi les trois ou quatre grandes plumes françaises.


Musée Maurice Genevoix ▶

Un musée Maurice Genevoix est situé à Saint-Denis-de-l’Hôtel, sur le coteau dominant la Loire, à proximité de la propriété des Vernelles. Ce musée une exposition permanente en hommage à Maurice Genevoix à partir de photographies, reproductions de manuscrits, éditions originales de ses oeuvres, un parcours retraçant la vie et l’oeuvre de l’auteur. Un fonds documentaire et des films amateurs sont mis à disposition, en consultation. Des expositions temporaires sont présentées régulièrement au premier étage du musée.

Place du cloître 45550 Saint-Denis-de-l’Hôtel
02 38 59 12 80 – mairie.sdh@ville-saintdenisdelhotel.fr