Orléans : Sophie Brocas, préfète et… romancière !


Cette femme engagée a pris ses quartiers à Orléans cet été, du fait de sa nomination à la tête de la préfecture du Loiret et de la région Centre-Val de Loire. C’est sans doute passé inaperçu mais cette représentante de l’État possède la particularité d’aimer écrire, jadis dans des journaux, et actuellement, dans des livres.
Par certains aspects, sa vie professionnelle pourrait à elle seule inspirer des romans. Et justement, Sophie Brocas, en écrit ! Son parcours n’est de toutes les manières pas banal : cette ancienne journaliste indépendante (free-lance dans la langue de Shakespeare) a tenté le concours de l’ENA à l’âge de 40 ans. Mme Brocas a reçu la journaliste qui écrit ses lignes dans son grand bureau un mercredi de novembre à la préfecture du Loiret, à Orléans, et fait partie de ces rencontres qui marquent. En préambule, elle narre sa précédente vie, celle du temps de ses articles pour Le Globe, le Quotidien des médecins, ou Télérama, sur les maquis du Cambodge, ou le dernier médecin anesthésiste encore en vie face à des Khmers rouges qui tuaient les porteurs de lunettes, considérés comme intellectuels. “Je multipliais les papiers pour une presse spécialisée à laquelle on n’en proposait que rarement. Et puis, l’équilibre entre ce qui me faisait gagner ma vie et me faisait plaisir s’est détérioré. Je ne me voyais plus dans un tel projet de vie. J’ai vendu ma boîte à un confrère et j’ai tenté l’ENA. Je m’étais dit que même si je ratais le concours, cela m’obligerait à passer à autre chose.” Elle réussit son examen préfectoral et du fait de son classement, intègre le corps préfectoral. Elle entame par conséquent cette deuxième carrière où elle n’est désormais plus celle qui pose les questions presse, mais qui dorénavant y répond. « La préfectorale, je m’en faisais une idée théorique. J’y voyais un moyen d’avoir ce que j’aimais dans le journalisme : la curiosité, la diversité des sujets, les rencontres, les découvertes, l’envie d’apprendre. Quand je produisais un sujet en Une de Télérama sur la guerre de Bosnie, je n’avais toutefois que le pouvoir des mots qui n’a jamais empêché certains de continuer à se trouer la peau. Dans le corps préfectoral, j’ai perçu la possibilité d’un métier avec de petites marges d’action. Et je n’ai jamais regretté. Je peux agir ici et là pour aider une entreprise à s’installer, mettre l’abri une femme battue, accompagner des réfugiés à s’insérer dans une communauté de vie, etc. Des agriculteurs m’ont aussi expliqué qu’une plante a privé d’eau le gros concombre pour protéger les petits, que la fleur chrysanthème ne fleurit que quand les nuits sont longues, etc. J’apprends plein de choses, et ça me met en joie.»

Un nouveau roman en cours !
Un point nous taraude, puisque nous, nous conservons cette mission d’interroger : en tant que représentante de l’État à l’agenda dru, comment dégage-t-elle du temps pour ses romans ? Oui, puisque Sophie Brocas est une préfète, et également, donc, une romancière ! L’ex journaliste à la chevelure brune garde ainsi, différemment, mais vivante, sa passion des mots. Pour notre part, nous avons lu son deuxième opus lettré, “Le Baiser” (2019, Julliard ; que nous avait recommandé un préfet!), qui vient d’être traduit en roumain, en attendant d’être adapté au cinéma. Un titre que nous conseillons, tant nous avons été happés par l’intrigue mêlant fiction et faits réels, sous une écriture fine en quinconce, mettant en scène l’amoureuse Tatiana et l’avocate Camille, nées dans deux époques différentes mais liées par un même fil rouge, à savoir une statue au cimetière du Montparnasse et l’artiste Brancusi. “J’écris le dimanche,” confie Sophie Brocas. “Sans musique. Après avoir dormi. C’est ma récréation, mon bonbon, ma friandise!” Elle révèle au passage l’écriture de son cinquième roman, dont elle a déjà rédigé 120 pages. L’histoire s’articule autour d’un fait survenu en 1924, à savoir la grande grève des sardinières en Bretagne, ces ouvrières qui mettaient les sardines en boîte, à Douarnenez. Excepté “Camping car » (2016)* sur l’épopée de trois hommes sexagénaires, la plume de Sophie Brocas s’attarde singulièrement, régulièrement, sur des parcours féminins. «Oui, toujours des femmes qui se libèrent de leurs entraves, » confirme-t-elle. «Et toujours avec une histoire d’amour!” Un écho inconscient à ses fonctions préfectorales et son métier d’autorité ? « Être une femme préfète, c’est à la fois beau et pas toujours facile. Il existe encore beaucoup de machisme comme vous devez vous aussi le ressentir. On le remarque à plein de petites choses : les hommes qui vous posent la question et répondent en regardant l’homme à côté de vous, les hommes qui vous coupent la parole… Mais ça avance : sur 13 préfets en région, en France, nous sommes 3 femmes (Loiret, Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est). Quand on est une femme, encore aujourd’hui, il faut en faire peut-être un peu plus. Mais il faudrait en discuter sérieusement avec les hommes les yeux dans les yeux car ce sont eux qui savent ! » Et l’occasion peut-être d’un thème pour un prochain ouvrage, qui sait ?

Émilie RENCIEN
* »Le Cercle des femmes (2014), « La Sauvagine » (2021).

 

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Et aussi, des mots sur l’écologie, les migrants…
Après Pierre Pouessel et Régine Engtsröm, entre autres, Sophie Brocas est donc, depuis le mois d’août 2023, la nouvelle préfète du département du Loiret, ainsi que de la région Centre-Val de Loire. Elle est également préfète coordinatrice du bassin Loire Bretagne et présidente du conseil d’administration de l’agence de l’eau. Elle fut précédemment secrétaire générale de la préfecture de Dordogne puis d’Ile-de-France (2007-2017); préfète de l’Eure-et-Loir (2017-2019), directrice générale de la direction des Outre-Mer (2020-2023), conseillère spéciale auprès d’Élisabeth Borne au ministère de la transition écologique (2019-2020). Parmi ses sujets de prédilection d’ailleurs, la planification écologique. “Nous venons de lancer, avec François Bonneau, le président de la région, la COP (Conférence des parties) Centre-Val de Loire. Il y a la nécessité pour tous d’apprendre à rouler plus vert, à avoir une agriculture plus diversifiée et plus sobre en eau… Je veux une réflexion sur les zones EnR (pour production d’énergies renouvelables) et je veux creuser le sujet de la géothermie; pour moi, il existe un gros potentiel pour ce territoire et ce serait moins conflictuel que les éoliennes. D’autant plus qu’on ne sait pas stocker cette énergie permittente. Nous travaillons aussi avec trois SDIS de la région à la mise en place d’un système innovant de détection de feux de forêts. Enfin, sachez que le dossier de l’engrillagement de la Sologne préoccupe beaucoup les deux ministres (Marc Fesneau, à l’agriculture, et Christophe Béchu, à la transition écologique). Il manque un décret à la loi (Cardoux), mais l’OFB (Office français de la biodiversité) a reçu des consignes pour relever les infractions.” Enfin, sur la question de l’immigration, suite notamment à une actualité brûlante d’enfants dormant à la rue à Blois (41), Mme Brocas ne tergiverse pas. “De plus en plus de gens sont à la rue, en général, au niveau national, et pas que des migrants. Il faut qu’on arrive à trouver des solutions et en même temps, je n’ai pas d’état d’âme à reconduire les étrangers en situation irrégulière, soit parce qu’ils ne rempliront jamais les critères, soit parce qu’ils se sont mal comportés vis-à-vis de notre pays.” La préfète, littéraire, conclut : “Je ne suis pas dans un irénisme.”
É.R.