Phénomène Macron : « comment ça marche » ?


Le mouvement « En Marche ! » revendique 150 000 adhérents au niveau national. En région, leur nombre oscille entre 350 (Cher), 500 (Loir-et-Cher) et 1060 (Loiret) (1). Des adhérents au profil sociologique très varié, avec un point commun : en finir avec les appareils politiques, qui n’agissent selon eux que par calcul électoraliste, et sont dépassés ; en finir avec le clivage droite-gauche… Des vœux pieux ? Trop d’espoir ? Une vague de fond qui peut tout emporter ? Tentative de décryptage.

En 1974, un candidat de 48 ans lors de l’élection présidentielle est élu et entre à l’Elysée, au terme d’une campagne qualifiée depuis par les experts en science politique de « familiale » et surtout « éclair ». Autour de Valérie Giscard d’Estaing, peu de monde en effet : sa femme Anne-Aymone, sa fille Valérie-Anne, et des seconds rôles politiques comme Jean Lecanuet ou Michel Poniatowski. « VGE » ministre de l’Economie et des finances depuis 1962 (et Inspecteur des finances à sa sortie de l’ENA, autre point commun avec Emmanuel Macron) n’a pas derrière lui de grosse machine politique, pas de parti aux militants surchauffés vêtus de tee-shirt dans les meetings, pas de réseaux sociaux : il est cependant capable de rassembler sur son seul nom la quasi-totalité des non-gaullistes de droite et du centre droit, et un groupe parlementaire conséquent. Face à lui, Jacques Chaban-Delmas s’agite et va échouer.

2017 n’est pas 1974, à bien des égards. La campagne « éclair » est une des conséquences du décès le 2 avril 1974 du président en exercice Georges Pompidou. La société française n’est pas la même qu’au début des années 70, où certes la « crise » vient de naître, mais la France est encore repue par les « bienfaits » des Trente glorieuses. Autres temps, autres mœurs. En 1974, Emmanuel Macron n’était lui même pas encore né (il a 39 ans). Pourtant, comme « VGE » en 1974, sa jeunesse, son esprit brillant, sa capacité de travail, attirent la lumière et les soutiens. Il représente le nouvel espoir, le vent nouveau, « Il attire la vague » selon les mots mêmes de Gildas Viera, adjoint au maire de Blois délégué à la vie associative, jamais encarté, adhérent au mouvement et fervent soutien. Il ajoute : « Emmanuel Macron prend le temps, progressivement. Les discussions de chaque territoire, les propositions, etc. viennent d’en bas. Ce sont des éléments de réflexion qui permettent de nourrir les grands axes, contenus dans son livre : Révolution ».

Gildas Viera, adjoint au maire de Blois délégué à la vie associative.

Des déçus du socialisme?  Pas forcémet !

Qui vient « marcher » au côté d’Emmanuel Macron ? Une assez grande mixité sociale, peu d’ouvriers et d’employés, mais ce constat n’est pas propre à En Marche ! Pour Christine Jagueneau, chef d’entreprise et référent en Loir-et-Cher, « À l’origine, lors du lancement mi-novembre, on avait des CSP plus, 50 ans et plus. Des gens qui voulaient être confortés dans leurs convictions, qui voulaient venir écouter, ils avaient déjà un vécu et une envie de changement. À Blois, on a vu arriver des gens des quartiers nord. Les revendications étaient sociales, plus fortement. Plus une demande très forte en matière d’éducation. Et aussi des gens qui veulent se réinscrire dans une histoire française. À la recherche d’un mouvement de progression par le travail, par l’inclusion ». Des déçus du socialisme ? « Même pas. Des gens qui ne votaient pas. Des femmes seules avec enfants attirées par les propositions. Des gens qui souhaitent le renforcement de l’éducation dans les ZEP ».

Renouvellement des pratiques et des idées

Loïc Kervran, 32 ans, est cadre bancaire à Saint-Amand-Montrond dans le Cher. Le département revendique 350 marcheurs autour d’Emmanuel Macron. Ses motivations pour entrer dans « En Marche ! » ? « Il dit des choses qui me font écho personnellement. Son projet d’émancipation à travers le travail me convient. Je viens du plus petit village du Cher : Contres, 30 habitants. Et pourtant, j’ai pu faire Sciences-Po à Paris, et faire carrière dans l’audit bancaire. Emmanuel Macron est brillant, je le suivais depuis un moment. Il est proche de mes convictions personnelles, au niveau international, social, etc. ». Des motivations que rejoint le référent du Loiret (1060 adhérents au 27 janvier), Emmanuel Constantin, 26 ans, haut fonctionnaire à la DIRRECTE (direction du travail) : « Ce qui m’attire c’est le renouvellement politique. Un renouveau tout court aussi. Et les idées. J’en avais assez de la stérilité idéologique dans la vie politique française. Les partis ne désignent que des candidats aux élections, font des petits catalogues de petites mesures. En Marche ! c’est un renouvellement des pratiques et des idées. Je n’avais jamais été encarté. Je m’étais même détourné du monde politique tout en continuant de m’intéresser aux sciences et à la philosophie politiques ».

Encore du flou et des questions

Il existe quand même, pour l’instant, un petit problème chez En Marche ! d’Emmanuel Macron : vouloir « renverser la table », c’est bien, mais comment ? En novembre dernier, Révolution, son livre qu’il a patiemment mûri pendant l’été et fruit de la grande marche de mai-juin dernier à la rencontre de milliers de personnes, donne des grands axes, mais pas vraiment de programme. Une stratégie pour éviter l’affrontement trop tôt avec ses concurrents ? Une volonté délibérée d’éviter le catalogue de promesses dont on sait, depuis le temps, ce qu’elles valent ? Pour Loïc Kervran, « Il a la volonté de ne pas rentrer dans le catalogue de propositions. La volonté de ne pas répondre à chaque question. C’est aussi une co-construction : plein d’ateliers thématiques viennent alimenter le programme. L’idée est de récupérer les remontées du terrain. Les adhérents sont plus de 150 000 au niveau national… Tout n’est pas figé. Ce qu’on reproche au quinquennat de François Hollande c’est qu’il n’y avait pas de vision, on ne sait pas où on va. Lui, il en a une ». Christine Jagueneau tente d’aller plus loin : « Toute la difficulté, c’est de tenir un discours simple. Dire « vous aurez 250 € de plus sur votre salaire, une formation adaptée pour trouver du boulot. Ça passera par le travail, 35 heures si vous voulez, plus si vous voulez. Le discours de vérité : c’est le seul qu’il faut porter. Il n’est pas dans le baratin. C’est le seul à tenir ce discours : si vous voulez gagner votre croûte, relevez vos manches et allez bosser », sans toutefois être plus précise sur le « comment ? ». On entend bien qu’il souhaite favoriser les indépendants, supprimer le RSI, favoriser le travail, surtout chez les jeunes… Mais comment ? Renverser la table, pourquoi pas, mais les blocages sont nombreux en France dès qu’on commence à remuer les chaises. « Il a la volonté d’être très transparent et très pédagogique. Exemple : sur la suppression des cotisations sociales maladie et chômage, cela induira une hausse de 1,7 % de la CSG qui touchera les retraités les plus aisés. Il dit : « Il faut faire un effort pour vos enfants et petits-enfants ». C’est aussi une question de majorité, c’est la raison pour laquelle il souhaite présenter un candidat dans les 577 circonscriptions pour avoir une majorité. Il y a une cohérence derrière le projet. Nous sommes également très attentifs à la faisabilité de nos propositions, c’est la raison pour laquelle il n’y a pas de réforme constitutionnelle ; on veut être sûrs de pouvoir faire ce qu’on fera », explique Loïc Kervran.

Lever des blocages

« La plus grande insatisfaction d’Emmanuel Macron, c’est l’échec de la loi Travail. Totalement ratée. Fondamentalement c’était une bonne loi mais pas portée par une vision. En 2012, on n’avait pas dit qu’on allait lever les blocages. Dans le contrat de transformation que nous allons publier début mars, on va le dire », ajoute Emmanuel Constantin (Loiret En Marche !).

Gildas Viera ne se considère pas comme  un suiveur. « Je pense qu’il peut aller plus loin sur son programme santé. Par exemple : les MSP (Maison de santé pluridisciplinaire) ne sont pas la seule solution pour lutter contre la désertification médicale. C’est dans la formation des professionnels de santé et sur la prévention qu’il faut aussi travailler. La FRAPS est déjà un vrai support (Fédération régionale des acteurs en promotion de la santé), il faut s’appuyer dessus ». 

« La politique, c’est un peu lever une armée, pour aller parler aux gens »

Deux choses vont devoir cependant être au cœur des préoccupations des adhérents d’En Marche !, et d’Emmanuel Macron dans les mois à venir. D’abord, aller chercher les abstentionnistes, les déçus, les réfractaires à la politique, les invisibles qui, par définition, sont bien difficiles à capter, et tous ceux – ils sont encore nombreux – à ne pas être spécialement séduits par la « sociale-démocratie » sauce Macron. Ensuite – et c’est aussi important – se garder de faire gonfler une bulle d’espoir si grosse qu’elle ne donnera encore que des déçus. « On en est conscients. On les voit sur les marchés. Pour la première fois avec Emmanuel Macron une offre progressiste qui permet de renverser la table sans être le FN ou les extrêmes. C’est un des paris d’Emmanuel Macron, offrir cette perspective. Donner l’opportunité aux gens de renverser la table avec un projet populaire, un programme qui ne soit pas extrême. Les changements radicaux, les gens sont prêts à les accepter, on l’a vu avec le Brexit. Mais pour ça il faut de la pédagogie, des discussions », pense Loïc Kervan. Emmanuel Constantin abonde dans ce sens-là : « On va voir les gens. On a même commencé par ça, on l’oublie un peu, mais la fameuse grande marche en mai dernier c’était pour ça. On ne va pas leur mettre un tract en main en leur disant « ça, c’est bien ». On discute car les gens ont très envie de discuter. Sur les marchés, les gens refusent tout ce qui est vu à la télé. Par principe tout ce qui passe à la télé est discrédité. C’est très dur, j’en conviens, mais c’est comme ça. La politique, c’est un peu lever une armée pour aller parler aux gens ».

Ce n’est pas encore l’armée des 300 000 hommes (150 000 quand même), il y a loin de la coupe aux lèvres, même quand on est jeune, brillant, et qu’on attire la lumière… Emmanuel Macron, brillant soleil ou étoile filante ? L’avenir le dira, et vite.

F. Sabourin

Chiffres au 27/01/2017, date de la rédaction de cet article


Jean-Luc Brault « En marche »?

Brillamment réélu à la présidence du Val de Cher Controis élargi, il y a quelques jours, Jean-Luc Brault, maire de Contres, figure importante de la vie politique locale, a déclaré sa volonté d’apporter son soutien au candidat de « En Marche », Emmanuel Macron, pour la Présidentielle: « Vous le savez depuis longtemps, je n’appartiens à aucun parti politique, ni de droite ni de gauche, mais si demain je dois soutenir quelqu’un pour la première fois de ma vie politique, ce sera Emmanuel Macron. C’est un type jeune, dynamique, nouveau, qui a des idées et une vision. Il porte une envie de changement. Nous en avons tous un peu ras le bol des mêmes têtes, des mêmes promesses, souvent non tenues, de cette petite tambouille politicienne entre soi. Les Français ont envie d’autre chose. ».

Jean-Luc Brault a déjà adhéré à ce jeune mouvement et se dit prêt à apporter sa signature au candidat à la présidentielle. A la question de savoir s’il pourrait porter les couleurs « En marche » aux Législatives qui suivront, il reste évasif. « Je n’ai pris aucune décision pour l’instant, Contres et le Val de cher – Controis retiennent tous mes efforts. Je ne ferme aucune porte mais franchement ce n’est pas actuellement ma première préoccupation. »

En l’écoutant on sent bien qu’aucune décision ferme et définitive n’est actée. Mais dans le cas où il se lancerait dans l’aventure, son choix se porterait sur la 2ème circonscription de Loir-et-Cher, celle du Romorantinais vallée du Cher où il habite et où il est président de l’interco Controis Val de Cher, plutôt que sur celle du Blaisois, où il est maire de Contres. Sa réflexion continue sans impatience ni précipitation!

G.B