Portrait rencontre – Gilles Magréau : Acteur, auteur, metteur en scène, directeur de théâtre, programmateur, écrivain


Saison 90/91 «showcase» a la FNAC de Tours : de gauche à droite : G.Magréau, J. Savary, Diane Tell.

On perçoit déjà que le personnage n’est pas l’image même d’un long fleuve tranquille. Ce Chevalier des Arts et des Lettres vit et travaille en terre berrichonne à Vierzon dans le Cher. Rencontre à l’occasion de la sortie de son livre « L’abécédaire d’un parcours artistique » et, quelques jours après le décès de son ami Alain Meillant (en encadré, la lettre posthume écrite en une nuit à son ami, son frère).
LPB : En parcourant le récit de vos tribulations qui nous entraînent d’Avignon à Vierzon en compagnie d’artistes, de lieux qui furent comme des oasis dans votre parcours : votre expérience de Joué-les-Tours ?
G.M : « au cours de mon existence, j’ai rencontré de nombreux personnages qui ont façonné ,voire modifié mon parcours et créé des souvenirs inoubliables. Le premier d’entre eux se situe en 1968 et il se nomme Jérôme Savary. Un personnage hors normes, créateur de génie que j’ai croisé bizarrement la première fois à Tours où le maire Jean Royer l’avait « exilé » à Grandmont à cause de « possibles troubles » de ce grand barnum libertaire de Jérôme Savary : « le grand Magic Circus et ses animaux tristes ». Comme j’étais en train d’appréhender le théâtre, je me suis dit : il faut que j’aille voir ce gars là et je suis tombé sur une forme « d’happening » incroyable. Ce type est fou et sans limites, me suis-je dit admiratif. Le deuxième acte de ces rencontres fut en février 1989. Première et inoubliable venue d’un spectacle de Jérôme Savary dans la programmation que je proposais à l’Espace Malraux de Joué les Tours dont j’avais la direction. Il se produisait alors en spectacle « Cabaret » à La Rochelle en 1988. J’y suis allé et suis resté sur le cul en visionnant cette comédie musicale énorme aux moyens gigantesques. Je prends contact avec l’administrateur de tournée qui m’apparaît circonspect face à ma demande de programmer ce spectacle dans la nouvelle salle de Joué-les-Tours. Il me dit quelques temps plus tard : écoutez, Jérôme est d‘accord mais il faut que vous preniez au moins quatre représentations… Ce qui voulait dire 4 000 personnes. C’était une ambition folle, j’ai pris le pari et en quinze jours, les quatre mille places se sont vendues et pourtant les prix étaient montés à cette époque à 100/120 francs, ce qui était énorme. Le régisseur général d’alors un certain Philippe Renard n’arrêtait pas de me dire : on pourra pas le faire, il était persuadé que techniquement c’était impossible et pourtant nous l’avons fait. Plus tard, durant la saison 90/91, je programmais deux autres comédies musicales : Zazou et Marie de Montreuil dans laquelle jouait Diane Tell. Jérôme Savary est venu à Tours animer à mes côtés, un show case à la FNAC ».

LPB : Arrive enfin et c’est ce que vous appelez le troisième acte l’épopée théâtrale de Vierzon.
G.M : « cela se déroule en octobre 2004 et quelques mois plus tôt, j’étais nommé Chevalier des Arts et des Lettres et c’est Jérôme Savary, à ma demande, qui est venu me remettre cette médaille dans le hall du théâtre où l’on jouait une de ses créations « Ma vie d’artiste racontée à ma fille ». Très ému de cette amicale et franche accolade, il me dit : « Tu sais Gilles, tu peux toi aussi être fier d’entrer dans la confrérie….C’est une vraie reconnaissance de ton boulot et c’est Jack Lang qui me l’a dit… ». Ce fut ma dernière rencontre et j’ai suivi les aléas de sa vie et ce jour funeste du 4 mars 2013, veille de mon anniversaire où un méchant cancer venait de le terrasser, lui, mon frère en arts ».

On aurait pu suivre les traces de l’humoriste Pierre Desproges, du guitariste Roland Dyens, du Printemps de Bourges, du théâtre Mac Nab de Vierzon … Il faudrait des pages et des pages pour illustrer ce parcours étonnant d’un homme de culture, des arts, mais homme de cœur et la disparition récente de son « ami et frère en art majeur » Alain Meillant lui a inspiré cette « Lettre à mon ami » que nous publions avec grand respect et plaisir.

Pour en savoir plus lire : « L’Abécédaire d’un parcours artistique » Gilles Magréau J.P.S. Editions


Lettre à mon ami,
Je sais tout ce que je te dois, Alain, mon ami, mon frère en art majeur. Ma mémoire me restitue intact le jour où, à Joué-les-Tours, tu m’as proposé de devenir le coordinateur du Centre Régional de la Chanson tout neuf, à la tête duquel Jack Lang venait de te nommer : tu avais su me convaincre. Et la tournée de la comédie musicale “ Allumette ” demeure à jamais un souvenir inoubliable.
Plus de dix ans plus tard, en 1996, tu me refais le coup de la séduction : cette fois, c’est le poste de directeur du théâtre vierzonnais Mac-Nab, qui va bouleverser mon existence. Un bonheur qui durera près de quatorze ans ! Grâce à toi, une fois de plus. Ensuite, dans le cadre de “ Neuvy-sur-Scènes ”, c’est à mon tour d’insister : je te propose de marquer à ta manière les vingt ans de la disparition de Léo Ferré, en renouant avec un récital de chansons. Ainsi naîtra “Léo de Hurlevent ”, avec la complicité musicale de ton frère Stéphane Scott. Un spectacle magnifique, accompagné du récit de ton compagnonnage avec Léo, que j’écrirai dans la fièvre et la joie, en quelques semaines. Un truc de fou. Un de plus. Enfin, il y a quelques semaines, au salon littéraire de Saint-Amand, notre duo improvisé autour du roman de Claude Gabin : “ La Cavalcade ”, qui palliait la défection médicale de notre ami Laurent. Le public avait été sensible à notre prestation. Je suis fier, ému et dévasté à la fois, d’avoir
accompli à tes côtés ce dernier tour de piste ! Ce soir, le sommeil me fuit et le noir de la nuit me fait horreur. Lumière, nom de dieu ! Plein feu sur l’artiste ! Une dernière fois ! Je pleure avec Aline et Delphine, mais je célèbre la mémoire de celui qui vient de partir taquiner les étoiles. Salue Desproges de ma part, Alain. Et Villeret. Et n’oublie pas Rochefort. Décidément, c’est toujours les meilleurs qui partent les premiers.
Tu sais, Alain, je suis de ceux qui pensent qu’on n’est pas mort tant qu’on survit dans la mémoire des vivants : crois, moi, mon ami, mon frère en art majeur, tu viens d’entrer dans l’éternité du souvenir. Affectueusement, je te salue.
Gilles Magréau
15 octobre 2017