Selles-sur-Cher : Parmi ces métiers qui ne sont pas recommandés pour les femmes…


En novembre, Jacques Marier, délégué du grand chancelier de l’Ordre du Mérite et commandeur du Mérite Agricole, a remis à Hélène Huart sa décoration. L’Ordre du Mérite récompense à la fois un savoir-faire ingénieux et un engagement humain dans un domaine dédié. C’est dans la cordonnerie et dans la formation professionnelle qu’Hélène Huart a été mise à l’honneur.
Ce qu’une femme ne pourrait pas faire… À 20 ans, Hélène Huart s’était engagée comme militaire et fut affectée en Allemagne. Sous-officier, chargée du chiffrement et de la transmission des messages secrets, celle-ci ne renouvelle pas son contrat en décembre 1980. En effet, mariée en 1977 et devenue mère de deux enfants, elle regagne la France avec son mari. Sans diplôme ni expérience dans le civil, le couple vendra durant deux ans des vêtements sur les marchés en mangeant son pain noir. C’est alors qu’Hélène Huart entama une formation pour devenir animatrice socio-éducative. Après l’obtention de son brevet, ses contraintes familiales l’empêcheront de poursuivre. Elle n’obtint que des emplois précaires jusqu’en mars 1984, date à laquelle elle effectua le contrôle sanitaire des animaux pour l’abattoir d’Onzain. De décembre 1985 à février 1988, elle est recrutée par la Direction des Services Vétérinaires de Loir-et-Cher (DSV) afin d’assister le vétérinaire exerçant les fonctions d’inspection dans les abattoirs du département. En 1989, le couple divorce et les contraintes horaires l’obligent à démissionner de ses fonctions à la DSV. S’enchaînent ensuite divers emplois précaires, en alternance avec des formations professionnelles. À 35 ans, attirée par le travail manuel, elle souhaite devenir cordonnier (un ami sellier lui avait appris les bases du travail du cuir). Après 14 mois de formation en alternance chez un cordonnier qui, au départ, ne croyait pas qu’une femme pouvait remplir le rôle (mais Hélène n’avait-elle pas déjà fait son expérience dans des milieux dits d’homme, tels le monde militaire ou celui des abattoirs ?), elle s’est présentée en candidate libre au CAP de cordonnier réparateur qu’elle obtint. En 1994, elle fonde un atelier de cordonnerie traditionnelle à Selles-sur-Cher avec l’aide d’une bourse décernée par l’association Vocations féminines en Loir-et-Cher qui soutient l’installation de femmes exerçant un métier non traditionnellement féminin. Promue en qualité de chevalier en 2010 à l’Ordre du Mérite Fédéral, elle se rend dans les collèges lors des journées d’orientation pour parler cordonnerie. Elle a donné des cours dans le cadre de la formation continue auprès de la Fédération Nationale des Cordonniers et à la Chambre de Métiers et de l’Artisanat et a fait partager son savoir auprès d’adultes en stage de reconversion ou de jeunes en insertion. Lors du concours national de travaux de cordonnerie-réparation catégorie travaux libres organisé par la Fédération Nationale des Cordonniers de France, Hélène Huart a obtenu en 1998 et 1999 les médailles de bronze puis d’argent. Elle assure encore aujourd’hui les fonctions d’examinatrice à l’examen professionnel de cordonnier au CFA de Joué-les-Tours, ceci depuis 2001.

Il faut être un homme pour être chef d’entreprise…
Soucieuse d’apporter un meilleur confort de marche pour des personnes handicapées, Hélène Huart s’est spécialisée dans l’adaptation de chaussures, proposant des rehausses de talons ou semelles et des redresses latérales pour les nombreuses personnes présentant des problèmes orthopédiques. En complément du travail des podologues et des chirurgiens orthopédistes de la région Centre-Val de Loire avec qui elle collabore, elle dispose de modèles de chaussures en plusieurs largeurs, avec des semelles amovibles spécialement conçues pour le port de semelles orthopédiques. Sa clientèle de plus en plus nombreuse n’hésite pas à venir de Blois, Tours, Bourges ou Orléans pour faire appel à ses services et ainsi retrouver un meilleur confort de vie. Son chiffre d’affaires sur ces articles a d’ailleurs doublé en quelques années. En 24 ans d’existence, l’entreprise s’est agrandie. En 1997, en plus de son atelier de cordonnerie, elle met en place un petit rayon vente de maroquinerie et de chaussures. En 2004, elle transfère son atelier dans un local beaucoup plus grand afin de développer l’activité. Pour faire face à la demande, elle recrute alors un vendeur conseil et ajoute une nouvelle activité : la distribution d’équipement de protection individuelle (chaussures de sécurité, gants de protection, vêtements de travail), destinés plus spécialement aux petites entreprises artisanales et industrielles, ainsi qu’aux mairies alentours. Reçue maître artisan cordonnier en 2009, Hélène Huart a su se reconvertir dans un milieu à tendance traditionnellement masculine et a su convaincre en plus de réussir. À la retraite depuis le 1er octobre 2018, Hélène Huart poursuit son activité tant pour le plaisir de toujours être utile à sa clientèle que pour parfaire la formation en cordonnerie de ses filles qui ont repris la succession de l’entreprise. Lors de la remise de la médaille de l’Ordre du Mérite, Hélène Huart a eu ses mots : “ mon père me disait toujours qu’on a rien sans rien, qu’il fallait toujours travailler plus mais, par contre, jamais seul, l’important étant dans les relations et interactions humaines.”

F.T.