Sorties littéraires : « Terroir », un livre magnifique, un témoignage précieux et authentique


C’était il y a presque un siècle, mais les émotions des hommes sont-elles aussi éphémères, les valeurs attachées à la terre sont-elles aussi fugaces qu’on voudrait bien nous le laisser croire ?
Seuls les témoignages vrais peuvent répondre.
Traces écrites essentielles, ce sont des repères indéniables auxquels se référer ; ils aident les plus anciens à se souvenir et les plus jeunes à se construire.
Il est bon de pouvoir aller à la recherche de nos racines en découvrant au début des pages d’un bon livre, facile
et plaisant à lire, comment
nos arrières-grands-parents ont vécu.
Pour cette rentrée littéraire, les Éditions Marivole, fidèles à leur engagement de redonner vie à des écrivains et à des œuvres enfuis injustement de nos mémoires, rééditent Terroir.
Un livre simple et magnifique qui mérite de repparaître et figurer en bonne place sur les rayons des libraires et des bibliothèques.
Témoignage éminent de la vie dans le Berry au début du XXe siècle, Terroir nous entraîne dans une époque évidemment de moins en moins évoquée avec l’empreinte du vécu.
Jean Gaulmier livre ses émotions, ses impressions, avec la maestria d’un amoureux sincère et sensible du pays natal, mêlant des termes berrichons à un style pur et, simple et tout sonne juste pour narrer les intrigues des différents tableaux.
Compagne d’un monde enfui, la nostalgie est partout présente, douce et délicate.
La campagne berrichonne, bouleversée, à la veille de la Première Guerre reste pareille à elle-même, infrangible en apparence, mais on le sent, rien ne sera plus comme avant. On découvre les mœurs et les caractères des paysans, bourgeois, notables, de Charenton-du-Cher. Charenton-du-Cher, à 12 km de Saint-Amand-Montrond, une petite ville si ordinaire qu’elle en devient extraordinaire.
Jean Gaulmier, salué par les plus grands, dès la parution de Terroir, a su rendre avec sa sensibilité exacerbée un hommage chaleureux à la campagne berrichonne. Le Saint-Amandois est chanté et les habitants du Berry retrouvent, cités, le nom de leur ville, village, lieu-dit ou domaine ; ainsi, est-il question, entre autres d’Arpheuilles, d’Ainay, de Coust, de Laugère, de Lignières, d’Orval, de Meillant, de Saint-Amand, de Saint-Pierre-les-Étieux, de Thaumiers, de Vesdun… Des lieux-dits, des domaines comme Brebeure, le Pré-salloux, Les Bergeries, La Croix Renaud, Les Genêts, Les Odonnais… On y aperçoit les hôtels et cafés de l’Étoile, du Bœuf, des Trois Perdrix, les rues de la sous-préfecture berrichonne, tandis que les petites villes du Bourbonnais et de la Marche si proches, se profilent. Les habitants sont décrits avec leurs qualités et leurs défauts ataviques parfois, toujours touchants. L’esprit rural est creusé avec perspicacité, sans malignité. Il la connaît bien cette terre berrichonne, il aimait toujours y revenir. Il a appris à l’aimer en partageant les émotions des humbles ; c’est souvent, auprès des travailleurs, des gens simples qu’il trouvait le réconfort d’une enfance sans père. Le souvenir est tendre pour décrire cette campagne profonde aux paysages parfois un peu tristes « campagne aux horizons trop plats », trop discrète toujours ; une campagne qui n’a pas encore été déchirée aux morsures du progrès. Tout n’est pas idyllique, pourtant ! Pas d’angélisme, tout reste dans la pudeur, la retenue, rien n’est désespéré.
On se rend vraiment compte que si la vie du paysan est dure, la terre ingrate et exigeante, un amour viscéral les relie.
Au fil des pages de Terroir, les saisons se déclinent, parant le pays berrichon d’atours singuliers et insoupçonnés on découvre :
–  avec Vacances, l’angoisse des rentrées d’école, loin du Berry,
– avec J’ai vu le domaine, la maison de Pierre, une vraie maison berrichonne, qui s’élève grandiose dans sa simplicité. L’intérieur berrichon, ausculté à la loupe est dépeint sobre, dépouillé… mais les carreaux rouges sont frottés et les cuivres reluisent sous les fromages qui sèchent dans les séchières pendues aux poutres…
– avec la douloureuse et insoutenable histoire de Cinq enfants, on pénètre dans l’absurdité de la guerre, lointaine, mais si présente…
– avec Le passage de la foudre, les conséquences inattendues d’un conflit auquel on croyait bien pourtant avoir échappé nous rattrapent. Cruelles ! Implacables !
– il y a aussi Froment dans la bouchure, des solitudes marginales, frustes au bonheur simple et au destin depuis et pour longtemps écrits qui se côtoieront sans jamais se trouver,
– Cendres, nous révèle l’image des bourgeois de la petite ville, à la noblesse particulière puisée avec patience dans la lente fréquentation des taillis et des guérets dans l’amitié exclusive de la terre…
On est bien dans le Berry ! Jean Gaulmier nous en fait ressentir, dans le fameux brouillard la chaleur qui monte des terres molles, dans les prés détrempés par les pluies d’automne ; on entend les quenouilles effilochées bruissant de libellules des roseaux et on observe « les derniers colchiques qui pourrissent dans les nappes de brume ».
En ces temps d’incertitudes, il fait bon se plonger dans un bain au parfum d’autrefois, dépaysement assuré, voyage doucement mélancolique. Les odeurs nous étreignent, les couleurs nous imprègnent, les sons nous bercent ; c’est le Berry de nos grands-parents. C’est la campagne pas encore égratignée par le progrès, celle des petits chemins et des bouchures.
Laissez-vous emporter. Le Berry, aux mornes horizons, s’anime sous la plume alerte et sensible d’un auteur que le Berry se doit de redécouvrir.
Un auteur qui éloigné de Charenton-du-Cher, par les aléas de la vie, lui resta indéfectiblement fidèle et surtout sut en parler avec une qualité de cœur et un talent remarquables.
Merci aux Éditions Marivole, de faire revivre Terroir.
D.-J. M.