Une dernière blague Carambar…


Nous ne nous sommes pas tous esclaffés face à « Quel est l’animal le plus heureux ? Le hibou, parce que sa femme est chouette. » Pourtant tout le monde connaît cet humour léger et lourdingue à la fois. Pas 2e degré pour un sou, les blagues Carambar. Cette fois, c’est la direction de l’entreprise elle-même qui en a écrit une bien bonne à l’intention de son personnel. Celle-là est à pleurer, mais pas que de rire.
Les salariés de l’usine de production originelle ont appris la délocalisation de la fabrication sur un autre site, à 8 kilomètres de là. Rien de marrant de prime abord. Ce qui est totalement hilarant c’est que la grosse centaine de salariés licenciés serait ré-embauchée sur les nouveaux postes déplacés… avec des diminutions de salaires qui pourraient aller jusqu’à moins 25 %! On ne vous dit pas comment tout le monde se gausse, se plie en deux, de rire, au pays des fricadelles, de la Pils et des frites à la graisse de bœuf. C’est que, en 2021, le vol officiel d’une part du bénéfice du travail, ça passe crème avec la Covid 19. Ça fait rire jaune et surtout mal au derche!
Voilà bien l’un des dégâts, dommage collatéral dit-on, lié au Coronavirus. Parce que, sur ce coup là, l’image d’un chien qu’on abandonne sur le bord d’une route génère finalement plus d’empathie que celle d’un chômeur en fin de droit ou d’un prolo au salaire juste suffisant pour survivre. Parce que, sur ce coup là, on se focalise sur un possible carnet de vaccination obligatoire, qui existe pourtant depuis des décennies. Parce que, sur ce coup là, tous les médias ne sont pas forcément au même niveau d’implication. Si dans le service public on fait, quoiqu’on en pense, un réel travail d’information, des chaînes clivantes ont pris le relais des stations radios qui l’étaient toutes autant jusqu’alors. Parce que, sur ce coup là, Cnews est trop occupé à laisser la parole aux idéologues de la nouvelle droite décomplexée. Une antenne où des gens sans vécu expliquent, comme à des ados boutonneux, le mieux vivre à des boomers retraités.
Parce que, sur ce coup là, les spécialistes de l’astroturfing, la désinformation populaire planifiée, sont au courant aussi. Ils s’appuient sur cette forme de propagande propagée par des minorités pour donner une fausse impression de comportement spontané, ou d’opinion populaire, sur les réseaux sociaux. Si, en d’autres temps, ces esthètes de la manipulation avaient eu les moyens actuels, l’Allemand serait devenue langue universelle ! Ces bidouilleurs de l’info ont rendu possible que, à la base, égaux face à nos sociétés inégalitaires, les uns pensent qu’en dépouillant les autres ils vivront mieux alors que les autres pensent qu’en dépouillant les uns… On est loin de la lutte de classe !
Heureusement, nous avons désormais des néo-résistants, des révolutionnaires. Ils luttent, le masque FFP2 sur le menton en guise de rébellion. Ils gueulent « Liberté », dans un restaurant, et crachent leurs postillons au dessus d’assiettes de salade niçoise. Ils font la bamboche et la chenille qui redémarre pour le départ en retraite d’un collègue. Masqués derrière un pseudo, ils balancent leurs tweets #JeNeMeConfineraiPas. Nouveaux gardiens des frontières, sous la bannière Identitaire, ils conservent inviolées des routes déjà barrées par la neige, les éboulements, un arrêté préfectoral et l’état d’urgence sanitaire. Marine Le stylo en est toute retournée. Sans un mot, sans voix, elle voit son ciel s’éclaircir tandis que notre horizon s’obscurcit.
Mai 68 était une petite révolution, plus culturelle que politique. Rien à voir avec 36. Le côté Quand on s’promène au bord de l’eau avait belle gueule et une autre volonté collective. Quant à la grande révolution Française, celle de 1789, elle n’était, à ses débuts, qu’un putsch des villes mené par une bourgeoisie naissante avide de remplacer une aristocratie en décrépitude. Comme un jeu sociétal de chaises musicales. Notre début de millénaire n’est rien de tout ça. Parce que, sur ce coup là, alors que l’ordre moral uniforme tente de mettre le monde au pas, la déresponsabilisation individuelle devient une qualité majeure. Sur ce coup là, ce n’est pas une blague Carambar !

Fabrice Simoes