2020, quel chambard !


Après des vacances sous les palmiers et le parasol des gestes barrières, retrouvailles avec une plume engagée en cette fin d’été. 2020, même combat, pour les médias ? Après les congés, retour à la réalité, et regard dans le rétroviseur pour une chambardée, sur la Côte… de Chambord. À côté de la pandémie Covid, un autre virus prend racine. Rétro obligée : Emmanuel Macron demeure fidèle à sa marotte, celle de “capter de belles images”: Pour preuve, le Président de la République avait en juillet à nouveau choisi le château de feu François Ier – symbole suprême de puissance royale, d’antan mais assurément toujours d’actualité – comme écrin de politique spectacle. Après son 40e anniversaire en privé en 2017 puis l’autre birthday aux 500 bougies publiques du Val de Loire en Renaissance(s) en 2019, le chef de l’État est ainsi revenu sur ses terres le 22 juillet 2020 dans le cadre de l’opération gouvernementale “Quartiers d’été” afin sur le papier, de “faire de cet été une opportunité pour tous les habitants et enfants des quartiers qui n’ont pas la chance de partir en vacances.” Une jeunesse venue d’Ile-de-France et d’Indre-et-Loire aura pu taper quelques buts avec le Président, sous les masques et les caméras; une mise en scène poudre aux yeux savamment captée, à ressortir opportunément pour la campagne de Manu de 2022. Au milieu de cet écran de fumée pailletée, une poignée de journées plus tard, un communiqué aura tenu à préciser : “des jeunes présents jusqu’à fin août au Château de Chambord.” Pour faire plus vrai ? Pile, face… Quel chambard.

Car il faut bien en convenir depuis les coulisses : cette journée du 22 juillet était une opération de com’. La TV TF1 avait obtenu la priorité, pendant que des pools resserrés avaient en parallèle été constitués. À ce sujet, en mars 2012, Marianne avait titré un excellent article d’un sobre mais efficace “ces poules de journalistes…” qui constatait très justement : “Les journalistes sont-ils instrumentalisés par les politiques ? Disons simplement que certains sont des privilégiés davantage sollicités par ceux qui nous gouvernent que d’autres. Ce qu’on appelle communément le « pool de journalistes ».” Puis, en juillet 2020, Libération titrait brillamment à son tour : “À l’Élysée, le photographe est un pion”. Leur reporter photo Corentin Fohlen décrivait avisément que “Le gouvernement a changé, mais les méthodes de l’ère Macron perdurent.” Ce n’est ni un secret ni une nouveauté : depuis 2017, Emmanuel Macron ne cache pas son désamour pour des journalistes qu’il juge “trop narcissiques”. Effet miroir sans doute. Et une énième fois, à Chambord, quel chambard ! Cette posture jupitérienne persiste et signe, nous attestons de l’envers de ce décor : mardi 21 juillet 2020, les médias locaux ont reçu, via deux wagons, l’information d’une visite “surprise” présidentielle le lendemain, 22 juillet, au château, dans le Loir-et-Cher. Certains, les “poolés”, l’ont réceptionnée sur le quai dans l’après-midi, tandis que d’aucuns, les fourvoyés, auront dû attendre jusqu’à 21 heures le train d’une note d’information mentionnant le déroulé d’un impromptu bien balisé. Une note, et non une invitation, car la subtilité se situait en fin de courriel qui mentionnait ceci : “En raison des mesures sanitaires, ce déplacement sera couvert par un pool image, son et rédactions (presse régionale et nationale). Elle ne fait pas l’objet d’une procédure d’accréditation.” Une formulation alambiquée qui laissait présager la foire d’empoigne pléonastique, voire pire. Comme nous sommes masochistes, nous avons demandé précision : conviés ou pas ? accueil restreint-restreint ? Un mail sec sans signature nous aura confirmés en retour le “non” deviné. “Pas d’ajout de journaliste”. Ce qui est fort insidieux : vous avez le visuel du gâteau derrière la vitrine, soit une belle faveur accordée “en toute transparence “, mais vous ne pourrez aucunement accéder au buffet pour vous sustenter. C’est comme être au régime… Deux poids, deux mesures, ici également, et la pugnacité de la préfecture de Loir-et-Cher n’aura pu faire bouger d’un iota la privation élyséenne décidée bien en amont, sans alternative possible de négociation. Covid-19 oblige, il est compréhensible de limiter les travées. Aussi, les pools qui excluent sont devenus un exercice coutumier accepté, surtout quand nous sommes un “petit” (mais costaud) journal solognot, un brin libre et impertinent à ses heures. À la fois frustrés de cette diète forcée et déterminés à boycotter ce mets doré, nous aurons observé cette comédie humaine de la fenêtre Twitter, à défaut de.

Ce n’est pas la première fois, mais il devient de plus en plus insupportable d’être black-listé par cette Élysée-là qui marche mal. Nous aurons maintes fois noirci des pages avec ces considérations offusquées, Édouard Philippe, Premier ministre à cette époque, à Vendôme en novembre 2019 fut notre dernier coup de gueule; cela ne sert peut-être à rien, mais les bouteilles à la mer finissent un jour par être ouvertes. Pour flashback comparatif, du temps de Nicolas Sarkozy, nous n’étions pas fortement appréciés mais tolérés, même si parfois sermonnés dans le bus et mis au pas. Sous l’ère François Hollande, les équipes s’étaient assouplies en début de mandat, pour notre bonheur, avant de durcir un chouïa l’étau en fin de course. Même en bataillant, nous avons toujours couvert ces déplacements nationaux en province. Impossible dorénavant du fait d’un verrou serré d’une main de fer : le peu de médias non autorisés qui auront tenté de braver à Chambord le 22 juillet 2020 se seront vus parqués à l’opposé des festivités, sans du tout pouvoir exercer leur métier. Et justement, lequel ? Communicant d’un non-évènement ? Être journaliste, est-ce courir après un élu pour copier-coller et resucer la soupe à son lectorat ? La réflexion, qui nous taraudait déjà l’été dernier, revient lancinante douze mois plus tard sur la plage bondée, coquillages et crustacés aux aguets d’un masque prétendu panacée. Oui, les journalistes broient à force du noir. L’Express confirmait ce blues dans un de ses papiers en janvier 2019 (“détestés, précarisés, usés…”). Quel “après”, pour le journalisme français, de surcroît dans une période sanitairement tourmentée où le funeste destin de la presse papier semble mondialement précipité au profit d’une information numérisée ? Il convient de toute évidence de ré-envisager une profession, engoncée dans des impératifs financiers qui sclérosent les claviers parfois muselés en mode pudibond pour ne pas froisser de précieux deniers, entre course à l’échalote et politiquement corrigé.

Se hasarder ? Et pourquoi pas, malgré cette année 2020 rythmée par de tortueuses covidioties, teintée d’un #CetétéjevisitelaFrance à la fois enthousiasmé et entravé de morosité pour les touristes, tantôt relâchés, tantôt au taquet, à la mer, à la montagne, sur la Croisette avec les photos de Nikos Aliagas, ou ailleurs le nez dans les poèmes d’Aragon. L’ensemble saupoudré plus près de nous, sous le soleil du Loir-et-Cher, d’élus et d’oppositions s’écharpant sans vergogne et avec concupiscence à Romorantin, Blois, Cour-Cheverny, Salbris, et caetera, frôlant le pathos et quelquefois affichant et blâmant sur les réseaux sociaux la presse qui ose… exercer son métier. Pendant ce temps-là, dans l’Hexagone, la loi bioéthique et le retour des néonicotinoïdes sont entre autres dossiers passés comme une lettre masquée, alors que le député Peltier fait sauter des crêpes sur Facebook, en short rayé ! Et le calendrier 2020, droit dans le mur, n’est pas bouclé, déjà bigrement empreint de son lot de manipulations de masse, de vessies déguisées en lanternes, d’explosions, de contradictions et crispations, de mensonges du pouvoir et jougs par le bobard, de sangs qui appellent le sang, de monde de foldingues, de démocratie déconnectée, de crédules moutons nourris aux carottes et menaces de bâtons, de guerres d’un nouveau genre, de bêtise terrestre contre laquelle un vaccin ne pourra rien, et d’autres joyeusetés d’une affliction mortifère moderne. Quel chambard ! Et pas seulement à Chambord. Le sens du vent change prestement en ce moment, donc ça promet de continuer à twister, à bien des égards. Alors bonne rentrée, cramponné(e)s à cet essentiel que vous lisez présentement, votre journal préféré.

Émilie Rencien