Billet d’humeur de Fabrice Simoes


J’aime bien Édouard comme prénom

J’aime bien Édouard comme prénom. Quand on le porte, ça fait soit majordome, soit patron du majordome. De toute évidence, ça fait classieux et costume cravate ou nœud papillon. Alors quand on s’appelle Édouard, on peut dire des bêtises plus grosses que soi, ça passe quand même. Si en plus le nom de famille est aussi un prénom de roi Capétien, Philippe par exemple, ça fait encore plus sérieux. De fait, tout ce qu’un Édouard, Philippe de surcroît, peut dire est parole sinon d’Évangile du moins de gouvernement. Réjouissons-nous donc et, dans les conversations, les journaux télévisés, ceux qui le font en papier, les pages de pubs du Net, répétons tous ensemble : « C’est chouette, le statut des Cheminots de demain va être supprimé. C’est pas chouette, les Cheminots d’aujourd’hui vont faire la grève bientôt. C’est chouette, ils ne payeront plus le train gratuit. C’est pas chouette, ils continueront à avoir des découchés et à travailler de nuit. C’est chouette, ils n’auront plus un régime spécial des retraites. C’est pas chouette il vont pouvoir ajouter la complémentaire à leur pension. C’est chouette, on va gagner de l’argent avec le TGV et aller vachement plus vite de Paris à… où on veut, à condition que la ville de la gare d’arrivée dépasse les 100 000 habitants. C’est pas chouette, il va falloir sauter en marche pour les autres gares. » Vous me direz que les Cheminots ne sont pas les seuls à travailler en horaires décalés, de nuit, les dimanches ou les jours fériés. Les infirmières, les policiers, par exemple font aussi partie du lot de ces privilégiés. Que ces fonctionnaires territoriaux, ou pas, à l’inverse des Cheminots qui ne le sont pas, ne s’inquiètent pas trop, leur tour viendra. Y avait aussi les journalistes, mais ça c’était avant. Parce que tu vas voir comment que le Édouard il va leur sucrer leurs avantages à ceux-là aussi. Le nivellement par le bas – ne pas confondre avec l’écrêtage qui se fait par le haut – a débuté et Édouard est aux commandes. Frileux qui tapez déjà des mains, et pas seulement pour vous réchauffer, pensez que vos enfants, ou petits-enfants, auraient pu mal finir et devenir fonctionnaire, agent ou ouvrier de l’État, travailler à EDF, à la Poste, ou pire encore bosser dans une mairie. Heureusement pour vous, ce n’est pas le cas.
J’aime bien Édouard comme prête-prénom. Quand on le porte, on n’a plus besoin de s’appeler Margaret pour faire du Thatcherisme, ce mode de fonctionnement libéral qui fait la joie de la bourse de New York, de Tokyo et du palais Brongniart. Ah ! les joies de la privatisation, sans baisse d’impôts, et toutes les patates chaudes qui brûlent la langue et le bout des doigts.
J’aime bien Édouard comme prénom parce qu’il permet de mettre en exergue que notre société assume désormais publiquement une forme de jouissance à ce qu’une partie des siens perdent quelques menus avantages sans qu’elle puisse en bénéficier elle-même. Heureusement qu’il ne s’appelle pas Salomon…
J’aime bien Édouard comme petit nom. Quand on le porte, barbe de 3 jours en avant, on peut faire de l’hygiénisme non seulement à pas cher mais qui peut rapporter gros. Et hop que je m’appuie sur un rapport que je ne mets pas en lecture sur la place publique – les chiffres, vous savez ce que c’est, y a des mauvais qui peuvent toujours les interpréter dans le mauvais sens – et hop que je te mets en place la diminution de la vitesse sur les routes secondaires. Ça part d’un bon sentiment vous me direz. Entre 300 et 400 morts de moins sur les routes ce n’est pas de la gnognotte. Si en plus ça peut mettre un peu de fraîche dans les caisses de l’état, ça ne mange pas de pain ! Un peu de com’ par ci, un peu de com’ par-là et le tour est joué. À raison de quelques pages de pub bien lumineuses dans les quotidiens régionaux, le quidam devrait valider… Chacun sait que quand c’est dans le journal, c’est que c’est vrai, non ?
J’aime bien Édouard comme prénom parce que, au fond, si on mettait Emmanuel à la place, j’aurais trop tendance à penser à Sylvia Kristel et à son fauteuil en osier.
J’aime bien Édouard comme prénom. Ce n’est pas comme si c’était Gilles, celui du porte-parole des Républicains. « Est-ce que ça, c’est du journalisme ? Non. Ça, éventuellement, c’est un exercice au niveau CAP d’ajusteur-monteur, » a déclaré Gilles Platret au sujet des enregistrements de Laurent Wauquiez. J’aime pas comme prénom Laurent. De un, à la base, le CAP, c’est soit ajusteur, soit mécanicien-monteur. Et de deux, c’est ce dernier diplôme que je surligne toujours dans mon CV.
Voilà pourquoi j’aime bien Édouard comme prénom. Surtout parce que je préfère que l’on m’envoie des courriers pour me traiter d’Édouard plutôt que de connard ! Quoique, finalement, je me demande si…

Fabrice Simoes