Billet d’humeur de Fabrice Simoes


Toujours regarder la vie du bon côté*

Quand j’étais petit, ça fait un moment maintenant parce que j’ai toujours fait grand pour mon âge, quand j’étais petit donc et je disais pipi, caca, prout pour voir ce qui pourrait bien arriver. C’était marrant. C’était certainement un interdit puisque ma mère ne manquait pas de gronder cet impertinent et grossier personnage. Sauf que, désormais on peut se demander si, à l’aune des bien-pensants et de la pensée basique et unique, dire pipi, caca, prout ne serait pas une forme de désordre d’un esprit scatologiquement pervers. On donne maintenant des calmants aux enfants hyper-actifs. Voilà quelques années encore on leur aurait donné un ballon de foot… quoique il est possible que les calmants soient finalement moins perturbants. Là n’est pas le débat !
Dans notre société où la moindre aspérité intellectuelle se doit de disparaître, il ne fait pas bon de traiter d’enfoiré, même à la manière de Coluche, son voisin de palier. Une universalité de la parole et le politiquement correct gomment toute forme de réflexion personnelle. D’autant que, comme le dictionnaire ou le Bescherelle ne sont plus des livres de chevet, on donne aux mots les significations que l’on souhaite leur attribuer et qui souvent n’ont rien à voir avec leur définition. Dès lors on décortique, on analyse ce que l’on veut. On lit en diagonale un mot sur deux et on en déduit que ce n’est pas conforme. A partir de là, cet univers impitoyable des réseaux dit sociaux, ce tribunal du peuple omniscient qui pourtant ne sait pas tout, est prompt à ouvrir le procès à charge. Sous couvert d’anonymat, individuel ou collectif, on taille, on broie les uns et on inculpe les autres. Et on guillotine l’un et l’autre au final.
Il est toujours passablement agaçant que des gens qui ne savent même pas lire dictent leur conduite à d’autres qui savent utiliser les mots et surtout en comprennent le sens. Sous le prétexte d’une possible, éventuelle, lecture approximative qui pourrait laisser à penser qu’un mot ne veut pas donner sa véritable signification, on traite en amont toutes les maladies en isme, racisme, sexisme, anti-sémitisme, anti-conisme ça devrait pourtant marcher aussi – et on abrase sans la moindre forme de compréhension du mot, du verbe, de l’écriture ou de la tonalité. Le fiel des anonymes de la toile, ceux dont leurs aînés excellaient déjà voilà soixante-quinze ans, se déverse et dégouline en flot ininterrompu. On jette l’opprobre sur le moindre écart de langage, et bientôt de pensée, comme un Minority Report déjà arrivé, comme une vision déjà figée de George Orwell. Sous prétexte de sa propre liberté on s’introduit dans l’espace réservé aux autres sans leur accorder un même droit. On s’investit d’une mission, divine ou non. Surtout ne pas répondre, surtout rester coi. Sinon le ru devient torrent, la rivière fleuve et de la petite mare on lance un avis de tempête pour une mer déchaînée.
Pour faire bonne mesure, tel un écran de fumée, on met à l’encan son collègue de bureau en général – dans notre société être ouvrier est une tare et plus personne ne travaille en usine semble-t-il – et les fonctionnaires en particulier, dans leur intégralité, sauf les policiers qui nous protègent des voleurs et autres malandrins, hormis quand ils mettent des PV, sauf les infirmières qui pourraient tout de même faire un peu plus attention à ma mamy plutôt qu’à celle du lit d’à côté, et sauf les pompiers aussi… On se complaît dans une négation de l’humain quand il concerne les autres et on se plaît à fustiger ceux qui ne pensent pas comme soi.
On dénonce sans comprendre tout simplement. La compréhension serait signe de réflexion et réfléchir c’est déjà désobéir. On éructe sans discernement. Hurler couvre toutes voix dissonantes, celles qui auraient des arguments mais ne peuvent ainsi les faire entendre. Sur fond de jury populaire on livre à la vindicte du même nom un bouquin qu’on n’a pas lu, une phrase que l’on n’a pas écrite, un mot que l’on n’a pas dit. Une espèce de censure non dite, non écrite s’installe peu à peu sans coup férir, sans tambour ni trompette. Elle est d’une efficacité redoutable. Et la censure constitue toujours la première forme d’une dictature !
« L’ouverture d’esprit n’est pas une fracture du crâne » ce raccourci de Pierre Desproges, qui a aussi écrit que « Dieu a donné un cerveau et un sexe à l’homme mais pas assez de sang pour irriguer les deux à la fois » démontre cependant que, malgré des connaissances anatomiques médiocres, le trait d’humour peut faire surnager l’esprit.
Comme une forme d’auto-persuasion, au lieu d’avoir une vision lénifiante de notre temps, il serait pourtant si simple de brailler haut et fort, tel un mantra, entre deux sifflotements, à la manière des Monthy Python dans le fabuleux « La vie de Brian », cette petite phrase « Always look on the bright side*. » Notre temps ici-bas est si court, pourquoi le perdre à pourrir celui des autres…
Alors, tous en cœur : « Life’s a Piece of Shit, When You Look at It…** »

**La vie est une merde, quand on la regarde…

Fabrice Simoes