Blois : Histoire et modernité savamment mêlées au château royal


Après les confinements successifs, le monument historique ajoute un zeste d’audace à ses expositions. Et de couleurs qui égaient un quotidien qui se déconfine mais demeure étriqué. Un vent de libertés bienvenu !
“Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles,” (Sénèque). Une citation résonne dans notre esprit en même temps que nos pas en écho sur les pavés du château de Blois dont les portes ont rouvert depuis le 19 mai 2021. Et justement, le pari osé est réussi et confirmé, lorsque nos guiboles marquent un arrêt, après la montée d’une poignée de traditionnelles marches de tuffeau, pour une fois habillées de vert et de rouge. « Choc artistique dans 17 marches, 16, 15…” Point d’impact culturel, à l’arrivée dans le musée des Beaux-Arts, dans l’aile Louis XII. Impossible à manquer ce qui se repère immédiatement tel le nez au milieu de la figure. Du vert encore. Et surtout une femme à la peau martienne et à l’oeil unique réhaussé d’un eyeliner bleu vif. Le portrait kitsch fait tomber les chaînes artistiques et historiques au coeur d’un château “classique”, même si les masques des visiteurs restent eux vissés sur leurs visages. Le titillement intellectuel est surprenant mais plaisant. Un brin de pop art et un corollaire de pastiche, de pampilles, de collages, et au milieu, une mouche ! Inattendu dans une salle entouré de “Vierges à l’enfant » de diverses époques. Et pourtant, un art contemporain si vivifiant d’impertinence, contrastant donc avec un classicisme bordé. Un peu de lâcher prise apprécié ! Cet ensemble flashy, intitulé “Made in Japan” et daté de 1964, est signé Martial Raysse. Le peintre et sculpteur français de 81 ans se plaît à détourner des chefs d’oeuvre de la peinture classique. “Certains visiteurs ont cru qu’on avait oublié l’insecte sur la toile, mais non ! C’est fait exprès; une volonté par l’artiste,” commente l’adjointe au maire de Blois, Fabienne Quinet, chargée de la vie culturelle, accompagnée de la directrice du château, Élisabeth Latrémolière, et de la responsable des collections, Morgane Lecareux. Oui, mais quand même, une mouche ? “La beauté, c’est le mauvais goût”, selon Raysse qui détourne ici “La Grande Odalisque” de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1814). “Cela rappelle les vanités et qu’au final, tout est mortel,” explicite Morgane Lecareux. L’idée de cette nouveauté royale – il s’agit d’un prêt temporaire du Centre Pompidou de Metz en échange du commodat alloué par le château de Blois en retour, soit une autre étrangeté, sa poilue Antonietta Gonzales (Lavinia Fontana, 1583) – consiste à changer le regard. “C’est un échange de langages, une opportunité qu’il convenait de saisir,” confirme Fabienne Quinet. “Ce tableau ne peut être oublié. Cela montre que le château de Blois, depuis la Renaissance, ne cesse d’évoluer. Les oeuvres d’antan étaient modernes à leur époque, apportées par les rois et reines. Le château se meut, et définitivement, n’est pas figé dans le temps.” Autre signe probant, une série de 100 photographies XXL, dont une partie réalisée par le photographe professionnel François Christophe que les Loir-et-Chériens connaissent bien, ont été disséminées à travers le monument (chapelle, salle de États généraux, jardins du Roy, etc.), donnant là encore l’opportunité de modifier sa façon de (perce)voir le château et ses subtilités qui passent parfois inaperçues si on ne lève pas la tête (gargouilles, tentures, textures,, façade en nocturne, etc.). Autant de “folies” qui réchauffent coeurs, âmes et cerveaux privés de sorties d’esprit jusqu’ici. À voir et revoir, sans hésiter, comme une parenthèse enchantée, jusqu’au 22 novembre.
Émilie Rencien