Brigitte Garnier Delaporte, la pionnière de l’art


RENCONTRE Brigitte est bien la première femme à ouvrir une galerie d’art contemporain au milieu des vignes dans ce beau pays de Sancerre qui pense surtout à faire la promotion de son fameux vin. Non seulement, elle porte un prénom d’origine celte qui signifie « force » en gaélique et qui laisse présager d’une sacrée personnalité…

Marie du Berry

Quand on la voit dans sa galerie au moment d’un vernissage, elle déborde d’énergie, elle ne perd pas un instant, embrasse ses amis sans oublier de les présenter à l’artiste du jour et à ses invités, découpe avec précision les fameux petits fromages de chèvre ronds qui ont fait la notoriété du village de Chavignol. Elle grimpe aux étages comme une chèvre pour être certaine que les visiteurs ne s’arrêteront pas seulement à la contemplation de la charpente et qu’ils verront bien toutes les œuvres exposées, puis elle revient pour servir avec générosité le vin blanc sec de la famille Delaporte. Oui, Brigitte Garnier Delaporte porte bien son prénom, désormais célèbre, depuis que la première Dame de France l’a remis à l’honneur.

« Le rêve réalisé : une galerie improbable… »

Ils se sont rencontrés dans une galerie à Paris, qui… ils ? Brigitte et Patrice, bien sûr ! Figurez- vous qu’ils se sont croisés à Chavignol pendant leur adolescence, sans jamais se rencontrer lui, le Parisien venu en vacances chez Dédé Dubois, ami de son père, le célèbre maître fromager, elle, enfant « modait » les chèvres avec sa grand-mère entre les vignes sur les pelouses sèches des alentours. Lui, l’architecte, c’était son rêve de tenir une galerie, elle, devenue biologiste et une vraie parisienne, était loin de penser qu’un jour, elle lui emboiterait le pas et abandonnerait ses laboratoires d’analyse pour un retour au pays natal avec l’élu de son cœur… Peut-être, le déclic s’est-il fait quand elle vit s’afficher sur les murs du métro parisien, les deux Dédé (André Dezat, célèbre vigneron de Verdigny et André Dubois, non moins célèbre fabricant de crottins de Chavignol) tous deux défendant fièrement leur petite patrie? Chavignol, ce hameau de Sancerre qui n’a jamais réussi à devenir une commune indépendante de l’orgueilleuse cité protestante mais qui toutefois est parvenu envers et contre tout, à élever une église sur son territoire à défaut d’avoir une vraie paroisse…

Du crottin de Chavignol à l’art contemporain

Chantons ce joli petit bourg de Chavignol, niché au creux de sa combe, dont ses fiers vignerons auraient aimé graver sur les étiquettes de leurs bouteilles de vin : Chavignol à la place de Sancerre… Reprenons en chœur ce nom qui chante et qui résonne aux quatre coins de l’Europe grâce à ses fromages au lait de chèvre entier et cru qu’on appelle crottins se rapportant aux anciennes lampes à huile en terre cuite dans lesquelles on les moulait autrefois… Accrochons nous à ce pivot du monde sancerrois autour duquel tournent ses fameux « Monts damnés », si pentus qu’il faut les maudire pour pouvoir en extraire une boisson divine et enfin allons fêter l’art sous toutes ses formes, avec Brigitte qui a choisi cet axe pour contribuer au rayonnement de son village natal ! « Une galerie d’art dans un village inspire une terreur absolue » ponctue Patrice qui sourit en écoutant Brigitte se débattre avec mes questions. « Après dix ans d’existence on est passé du stade connu au stade reconnu, la galerie a ouvert ses portes en 2009 dans une maison appartenant à mon oncle dont j’avais la responsabilité, elle avait été une ancienne boucherie. Sa situation en face de l’hôtel-restaurant Les Monts damnés, était une chance pour les deux parties, cela ne pouvait qu’être valorisant pour les deux mais…» Apparemment la « danseuse » coûte cher : « L’important, c’est que l’on couvre nos frais fixes et que l’on puisse payer nos futurs salons» reprend-elle. Brigitte y croit : « C’est une grosse prise de risque, surtout quand on a décidé de montrer des œuvres pas faciles à décrypter»… Oui, dis-je, « surtout dans l’art contemporain si peu apprécié dans nos campagnes », mais elle reprend la balle au bond, tenace et déterminée : « Nous n’avons qu’un seul but : promouvoir les moissons d’œuvres que nous faisons au cours des années, puis une autre idée que nous aimons développer, créer une véritable communauté entre les artistes afin de les fédérer…» 

Quelles qualités faut-il pour ouvrir une galerie d’art contemporain au milieu des vignes ?

« La patience, encore de la patience, toujours de la patience, pour réaliser, pour faire aboutir. Nous avons inauguré la galerie avec Micky Mallet, une femme peintre qui faisait de l’abstrait et a réussi à vivre de sa peinture, elle nous a apporté de précieux conseils, ce fut un soutien pour nous. Nous nous répétons tous les jours après elle : il faut rendre l’art humain accessible à tous, sous ses formes les plus variées. »

Et comment faire pour la faire vivre dans un pays de vignerons qui pense surtout au vin?

« Pour fêter nos dix ans d’exposition, nous avons investi les caves, les vitrines des commerces, et même la place du village. Nous y avons présenté un maximum d’œuvres, des peintures, des photographies, des gravures, des sculptures, des céramiques, afin de les rendre proches des gens et promouvoir les artistes. On essaie aussi de s’ouvrir au maximum à l’extérieur, maintenant, nous pouvons communiquer via les réseaux sociaux, nos enfants nous aident beaucoup ! Notre crédo : être des passeurs entre les artistes et les visiteurs. L’art est un espace de liberté !»

Combien d’artistes avez-vous découvert au total ?« 24 artistes en tout et nous les exposons tous jusqu’au 4 novembre. »

Un regret ?« On n’a pas assez de temps, nous voudrions pouvoir créer davantage d’évènementiels chez des particuliers et dans des entreprises avec nos artistes pour les faire connaître.»

Une joie ?« Je me souviens d’une petite fille de 9 ans, curieuse des choses qu’elle voyait dans notre galerie autour d’elle, puis après en avoir fait le tour de haut en bas, elle revint avec un dessin qu’elle mit sur son cœur, celui-là, je le veux ! » déclara-t-elle, alors Patrice a dit : «  Emporte le, je te fais crédit, tu le paieras quand tu pourras… Et la petite est revenue avec ses petits billets, le grand-père l’avait aidée, Noel n’était pas loin … Quelle joie dans ses yeux !»

Vous dites aussi que l’art peut soigner, parfois guérir ?« Oui, vous faites bien de le souligner, moi-même, je me suis soignée en regardant les bleus des toiles d’un peintre. Oh ces merveilleux bleus qu’ils me faisaient du bien ! »

Un remerciement ?Brigitte qui est curieuse de tout, a beaucoup aimé les voyages, elle se souvient d’un ami qui l’a initiée au monde de l’art, Pierre Remérand du Cercle amical du Berry : « C’est grâce à lui que j’ai découvert le monde de l’art, il nous emmenait au Louvre, partout, en Italie, en Espagne même, il animait aussi de nombreuses sorties, c’est ainsi que j’ai visité tous les châteaux du Berry. Nous allions aussi sur des sites archéologiques… Quand je vivais à Paris, c’était ma campagne à moi! Je ne le remercierai jamais assez. » Aujourd’hui, la pionnière a réussi la belle gageure de mettre l’art à la campagne au milieu des vignes et de le rendre accessible à tous.

Pratique : La galerie est ouverte jusqu’au 11 novembre les jeudis et vendredis de 16 h à 19 h, les samedis, dimanches et jours de fêtes de 14 h 30 à 19 h 30. Et toute l’année sur rendez-vous.

Infos : 02 48 54 29 21 / 06 07 30 46 35

galerie.garnierdelaporte.com