En mal d’idoles


Emmanuel Macron, circulant dans une voiture de Président de la République aux vitres fermées, un 8 Mai sur des Champs-Élysées bouclés, quasiment sans foule ni badauds, hormis quelques visages, après un hommage au Général de Gaulle. Peu importe ses convictions, l’image est assez terrible. Triste, dans ce mal-être qui meut la France. À côté, une manifestation d’ultra-droite a défilé le 9 mai, autorisée par la préfecture de police de Paris. Cherchez Charlie. Pendant ce temps également, sur ce terreau national favorable, la Sologne, terre giboyeuse, prisées par les personnalités et grandes fortunes, parfois comparée à une petite Côte d’Azur sans la mer mais avec asperges et forêts impénétrables sur trois départements (le Loiret, le Cher et le Loir-et-Cher), retrouve ses vieux relents d’antan. Le 24 juin, ainsi, Éric Zemmour et ses amis chasseront « près de Lamotte-Beuvron », en Loir-en-Cher justement, pour une nouvelle édition de la Violette repensée, coupant avec ses origines, certes de droite forte mais plutôt sarkozystes, du temps de l’un de ses fondateurs ex-LR, Guillaume Peltier, qui n’était pas encore passé dans le cockpit « Reconquérant ». L’occasion de tourner des pages de l’histoire locale pour les anciens qui ressortent un article du Monde de 1990 faisant déjà état de « vie de château pour des troupes d’extrême-droite » formées cette fois dans le Cher, à Neuvy-sur-Barangeon, dans le domaine d’un autre fameux personnage, l’empereur africain déchu Jean-Bedel Bokassa …
Sous ces spotlights, Brigitte Bardot, qui venait en Sologne, entre Souesmes et Pierrefitte-sur-Sauldre (41), dans la propriété de l’Ardoise de Jacques Dessange notamment, quand elle n’était pas encore militante auprès des animaux, a cédé depuis longtemps à des sirènes extrêmes. Autant politiques que littéraires : dans un entretien accordé à Boulevard Voltaire, média ouvert à toutes les sensibilités de la droite conservatrice, elle y a qualifié les féministes de « mal baisées ». Ah. Le raccourci est aisé, le phrasé très éloigné de l’image glamour sur papier glacé des coquillages et crustacés des jolies plages de Saint-Tropez et de l’icône BB. Derrière les paillettes, l’actrice est néanmoins connue pour son franc-parler, un brin vulgaire, et avec cet ixième discours au vitriol, les bikinis en tombent encore. Non pas qu’elle froisse nos oreilles chastes, nous en avons vu et lu bien d’autres. L’argument n’est pas nouveau non plus : l’un des premiers visages du cinéma, Agnès Varda, de son vivant lors d’une interview donnée au magazine culturel, classé à gauche, les Inrocks, avait souligné, en évoquant à nos confrères (et consoeurs), le manifeste « Je me suis fait avorter » en 1971, qu’il ne fallait pas oublier «qu’à l’époque, les féministes étaient vues comme des casses pieds, des mal baisées, des hystériques, voire tout ça à la fois». Non, ce propos vient juste un peu ternir l’une de nos soirées TV. Le 8 mai, les deux premiers épisodes de la nouvelle série biopic (en six parties), « Bardot », diffusés sur France 2, se sont révélés de bonne facture. L’impertinence de BB, jouée par Julia de Nunez, dont la ressemblance, tout au moins physique, est frappante, nous a séduit par son certain souffle de liberté.
Toutefois, dans un pays qui manque d’idoles (Johnny Hallyday et Charles Aznavour ne sont plus), difficile de trouver dans ce naufrage français une réelle bouffée d’air et un rocher auquel se raccrocher. Il nous reste Eddy Mitchell, Michel Sardou… et Dorothée ? Rassurons-nous : même Charles III, pour son concert de couronnement, n’a pas réussi à convaincre les Spice Girls. Mais sur la scène de Windsor, Katy Perry, qui n’est elle pas anglaise, c’est tout de même cool. Plus sympathique qu’un “noeud gordien à trancher”, expression déclamée un matin de mai sur Europe 1 par David Lisnard, maire LR de Cannes, président de l’Association des maires de France (la bien connue AMF), pour pointer ici l’efficacité (ou non) des dépenses de la France.
L’opportunité de se replonger dans la littérature. Gordien, d’après le mythique Gordias (naguère, au deuxième millénaire avant nous), soit un problème inextricable, un noeud qui, si nous nous référons à la définition Larousse, “attachait le joug au timon du char du roi de Phrygie, Gordias.” Plus récent, Georges Pompidou, dauphin du Général de Gaulle, avait rédigé en 1968 un essai politique, titré ”un noeud gordien”, publié en 1974, où il prophétisait le crépuscule du marxisme, le come-back de l’extrême-droite, et également, avec crainte, la survenue d’une souveraineté … égoïste. Un livre, parmi d’autres, à relire sans doute, dans une France à nouveau aux croisements de sa destinée, entre épées de D’artagnan et d’Alexandre. Sans idoles pour le moment, ni vrais mousquetaires, mais toujours avec ce bruit persistant de casseroles.

Émilie Rencien