Gueule de bois


Fade. Selon la définition du Larousse, ce mot de la langue française est utilisé pour désigner quelque chose ou quelqu’un qui manque de saveur, ou bien une odeur douceâtre et écœurante. Il n’est donc pas question ici de la bière-cidre très tendance pour cet été, ni même de la dernière cuvée du rosé français de Georges Clooney. Plutôt des élections européennes qui sont enfin passées, qui ont offert pour leur part sans doute un mal au crâne à bon nombre le lendemain du 9 juin, doublé d’une gueule de bois. Des postulants au titre, notamment ceux sis du côté extrême de la force politique, ont pourtant trouvé cette campagne électorale “passionnante”. Or, même pour nous les journalistes férus de l’exercice et des meetings d’ordinaire, nous avons préféré rester à domicile, éteindre le poste et zapper.

Ces dernières semaines, sur le terrain, à mille lieux des studios aseptisés de l’audiovisuel, nous avons pourtant croisé quelques-unes des candidat(e)s et élu(e)s
dans le Loir-et-Cher, fait le travail de les écouter, de consigner leurs idées, de porter attention au jeu des interviews écrites, mais de Marion Maréchal en Sologne à Clémentine Autain à Blois, en passant par Valérie Hayer au congrès du MoDem à Blois aussi, une fois n’est pas coutume, rien n’aura vraiment accroché notre oreille et et stylo journalistique. Une boisson fade nous provoquant une veisalgie démocratique. Après le chien tout chou et le canard craquant, seul le petit chat empli de mignonitude, posant à nouveau sur l’affiche du Parti Animaliste, aura, toutes considérations et positions politisées mises à part, fait sourire en apportant un brin de douceur, loin de ce monde de brutes et d’animaux qui ne s’écoutent pas parler. Particulièrement sur les plateaux tv où le voisin interrompt sa voisine et vice versa, pour au final, ne pas parler tant que ça d’Europe, mais tirer toujours plus, dans des litanies inaudibles dont le quidam ne retient pas grand-chose, le parachute vers son rivage.
C’est le jeu, mais à l’heure des quatre-vingt ans du Débarquement en Normandie rappelant les affres de la guerre passée des hommes, que l’Ukraine connaît derechef sur son sol, tout ce petit monde, tous partis confondus, exécutif comme oppositions, finit par manquer de hauteur et profondeur dans un contexte singulièrement historique, à moult égards. C’est un peu comme le produit ménager ou gel hydro-alcoolique qui donne sa parole en certifiant, sur son étiquette, éliminer 99,99% des bactéries; il manque par conséquent indéfiniment ce petit truc et infinitésimal pourcentage qui pourrait éviter de sortir le balai.
À l’heure où nous publions ces lignes, soit quelques journées avant les élections européennes du 9 juin, non dotés d’une boule de cristal, nous ne pouvions pas noircir cet espace imprimé de supputations fantaisistes dans le vent, bien que les sondages aient donné son sens depuis des semaines laissant présager une dissolution de l’Assemblée Nationale. Mais, à lire le billet d’une consoeur du quotidien La Nouvelle République, s’agissant de la Marche des fiertés organisée à Blois le 1er juin, qui aura piétiné sur les réseaux sociaux à force de quolibets nauséabonds et homophobes la ritournelle “liberté, égalité, fraternité”, une certitude malheureusement s’appose. Ce n’est ni un secret ni une surprise de toutes les manières, qui se traduit de plus en plus dans les urnes, régulièrement prises en étau entre abstentions, vierges effarouchées et sectarismes. Alors, ce scrutin 2024, à un seul tour, ne changera assurément pas la face du monde, et en même temps, fait partie des petites touches subtiles qui transforment subrepticement ce même univers. À l’instar d’une toile de Monet qui usait du contraste pour illustrer la violence des tempêtes…
Il persiste néanmoins dans cette âpreté, des moments à la fois tristes et si romantiques : le 5 juin, le corps sans vie de l’artiste Benjamin Vautier, dit Ben, 88 ans, était découvert dans sa maison niçoise. Sa disparition fut volontaire, son geste suicidaire, provoqués par arme à feu, face à l’insupportable pour lui : continuer son existence sans l’amour de sa vie, son épouse Annie, terrassée par un AVC la veille. Ben, à l’art et l’esprit libres, était connu pour ses écritures blanches sur fond noir, que vous avez immanquablement un jour croisé sur une trousse d’écolier ou encore lu sur la façade de la Fondation du Doute à Blois. Parmi ses messages et aphorismes à retenir : “et surtout, n’oubliez pas de tomber amoureux”.
Histoire d’éviter une terrible gueule de bois, sans avoir en sus consommé aucun alcool. Car justement, la passion, dans son acception positive, fait actuellement cruellement défaut. À trop tirer sur la corde, elle se brise…

Émilie Rencien