La dynastie Petipez victime de l’air du temps


Florence a lâché quelques minutes l’écran de son portable pour consulter l’histoire sur papier jauni, dans sa boutique.

Florence sera la dernière Petipez à mesurer le temps qui passe. L’une des plus vieilles enseignes familiales castelroussines baisse le rideau rue Victor Hugo. Désormais on ne répare plus les montres.
Le livret professionnel de son lointain aïeul témoigne en 1879 de la fin d’apprentissage d’un certain Pierre Amédé Petipez, né à La Châtre dix-sept ans auparavant. Le jeune homme allait être le premier de la lignée des horlogers d’abord installés à Argenton en 1883, puis à Châteauroux où Pierre, meilleur ouvrier horloger ouvrit le premier Petipez, rue Grande, Amédé juinor, son frère, gardant le magasin d’Argenton.
Florence n’a jamais appris l’horlogerie et son deug d’allemand ne la destinait pas forcément à être la dernière de la famille à défendre l’horlogerie bijouterie familiale.
«Surtout la bijouterie, précise l’intéressée. J’avais souvent vu André, mon père et Pierre, mon grand-père travailler dans leur atelier. Je connaissais les solutions horlogères dans lesquelles ils plaçaient les pièces démontées avant de les sécher dans la sciure. Ils réparaient «à l’oreille» les horloges. Je suis capable de faire un diagnostique, mais je sous-traitait la réparation. A mon père d’abord, puis à un confrère castelroussin.»
Après avoir vécu dans le Var et travaillé dans une banque, Florence est revenue en 1983 à Châteauroux avec l’idée de reprendre l’entreprise familiale dont elle fut d’abord salariée.
«En 1995 lorsque j’ai pris la succession de mes parents, j’ai décidé de m’installer rue Victor Hugo, La rue commerçante de Châteauroux.»
Pendant quelques années encore la vie de la commerçante a été rythmée par les rencontres avec les commerciaux. «Ils arrivaient avec leurs valises et leurs collections. On avait les produits devant soi. Depuis 2005 pour des raisons de sécurité ils ne transportent plus que des ordinateurs et c’est à nous d’aller confirmer notre première impression dans les salons régionaux.»

Maire adjoint au commerce
Un magasin familial c’est un peu un confessionnal, on prend le temps d’écouter l’histoire des gens. On prend le pouls de la ville. Jean-François Mayet ne s’y est pas trompé en venant proposer à la commerçante d’entrer dans son équipe. «Non pas comme conseillère municipale mais directement comme maire-adjointe au commerce. Mes parents ont hurlé, affirmant qu’un commerçant ne fait pas de politique, mais j’étais une grande fille…» Jean-François Mayet avait trouvé une élue consciencieuse, même si l’expérience montra à Florence que choisir une commerçante pour administrer le commerce local n’est pas forcément la meilleure solution. «Les choix de la commerçante n’étaient pas forcément ceux de l’élue…»
En tout cas le maire était très satisfait de son élue. Non seulement il la garda dans son équipe mais il en fit sa coéquipière lorsqu’il fut élu conseiller général. Un poste qu’il allait devoir abandonner en devenant sénateur. «Il a cependant fallu que je passe par l’élection, la démission pour cumul de mandat ne faisant pas immédiatement passer le suppléant au rang de titulaire.» Le plus difficile ne fut pas de gagner l’élection, mais d’être candidate, face à des ambitieux aux dents longues. Florence ne lâche pas l’affaire et se retrouve première élue féminine de la majorité départementale.

La rue Victor Hugo hors de prix pour les indépendants
Maire adjoint, conseillère départementale, Florence ne cache pas que ses mandats d’élue pimentent davantage sa vie que son activité de commerçante dont elle a fait le tour des satisfactions. «J’avais l’âge de partir en retraite et j’ai trouvé quelqu’un pour racheter mon pas de porte, trois fois moins cher que je l’avais payé certes, mais avec le montant des loyers rue Vitor Hugo, qui ne sont plus accessibles qu’aux franchisés, il ne faut pas être trop difficile. J’ai donc décidé de baisser le rideau.» Un opticien prendra sa suite.
Elle pourra désormais se consacrer encore plus à ses mandats. «J’était toujours de très bonne heure en mairie, je ne partais jamais plus de trois jours en vacances et ne participais pas aux déplacements municipaux. Quand je vois autour de moi le nombre de personnes encore jeunes disparaître brusquement, je me dis qu’il faut prendre le temps de vivre.»
Le temps qu’elle a mesuré vingt-trois ans durant, dans sa boutique castelroussine et qu’elle n’a finalement pas vu passer.
Pierre Belsoeur